Lettres aux jeunes poétesses, Ouvrage collectif, préface Aurélie Olivier (par Patrick Devaux)
Lettres aux jeunes poétesses, Ouvrage collectif, préface Aurélie Olivier, août 2021, 144 pages, 15 €
Edition: L'Arche éditeur
Le titre de l’ouvrage en annonce bien le contenu : la démarche initiale est de vouloir faire écrire à des poétesses ce qu’elles auraient voulu recevoir comme conseils pour se préparer à l’aventure de l’écriture.
Tout y passe, les auteures pressenties s’y donnant à cœur joie en même temps que, souvent, à juste titre, « L’écrivain mâle sera questionné sur la conception de son ouvrage, l’élaboration de sa structure. Toi on te demandera si la sortie de ton livre t’a fâchée avec ta famille ».
L’intention de Claire Stavaux, l’éditrice, est de donner la parole. L’intention est louable et fonctionne parfois avec une dose d’humour : « C’est un milieu un peu hostile mais il y a de la sororité. C’est pas non plus franchement gagné/…/ Ne regrette rien et viens sans peur, tu marches déjà sur des braises, bientôt viendra le batême du feu. Allez bisou ».
Certains conseils sont constructifs, sans excès dans la diversification insistante des genres pour faire passer l’idée en douceur à partir de l’écriture elle-même, ce qui peut rendre le propos plus efficace : « Tu te sens mise à l’écart dans le français, fais-en une force. Ne te laisse pas impressionner par notre langue, ne lui laisse exercer aucune autorité sur toi/ …/ Vas-y, laisse rentrer ta propre langue, l’arabe, mixe les deux langues, amuse-toi ! Dans l’espace de l’interlangue, crée une nouvelle langue, assume-toi ! ».
Il y a donc ainsi autant de conseils qu’il y a d’expériences d’écriture, ceci ne valant pas toujours exclusivement pour le genre féminin, « l’imaginaire se situant (il se situe) d’abord dans la forme, dans la langue ».
Certains « conseils » se veulent préceptes de vie. « Fais de cette perte ta force. Et n’oublie pas qu’écrire c’est peut-être d’abord effacer ».
L’œuvre se voulant collective et pour ne pas orienter des préférences qui pourraient peut-être paraître « masculines », je ne cite pas, pour cette raison, les différentes autrices d’extraits que je reprends, tentant non un choix mais une réelle pluralité orientée dans un contexte global.
C’est d’ailleurs là que réside sans doute la difficulté des choix de l’éditrice, chaque autrice ayant, comme l’aurait d’ailleurs aussi chaque auteur, son tempérament et expérience propres.
Avec le questionnement, la lettre, qui attend alors une réponse qui ne nous est pas connue, induit une situation plus intime psychologiquement : « Je voulais te dire de là où je suis et sans vouloir tout te révéler, que ça va aller. Quand tu veux écrire tu peux ». On y retrouve alors un certain maternalisme avec le conseil souvent repris de faire parler de soi : « Décris les détails, et parle de toi, de toi et encore de toi ».
Progressivement, à la lecture, m’apparaît le contexte global pressenti par l’éditrice devenant un peu l’auteure de toutes tant transparaît une sorte de ligne de conduite dans les choix. C’est dire le rôle de l’éditeur/éditrice dans un contexte anthologique.
Certaines font état du déclic inattendu : « Parfois on attend quelqu’un et c’est une autre qui arrive, nous mord l’épaule ; ça fait du bien, de temps en temps, une belle saignée. Prends tes affaires et viens, nous devons cesser d’attendre et aller au-devant des choses. Il n’y a rien à attendre de l’attente ».
Les orientations affirmées, bien écrites, sont plaisantes, telle celle-ci : « Et puis rien de pire que le bain tiède de l’empathie qui, en fait, travaille dans notre dos à la mort de l’expérience. Mais quelle expérience ? ». Cette dernière preneuse de parole propose cette belle formulation : « Dans tous les cas, ce que je sais, c’est qu’une poétesse ne doit pas être un poète endommagé ».
Curieusement, je note que les citations reprises dans les lettres sont souvent le fait d’écritures masculines : Bataille, Artaud, etc.
Parfois la réaction est ressentie par rapport à un contexte culturel plus global : « Quel soulagement, en arrivant en France, de n’avoir plus à entendre le mot “femme” immanquablement collé à la poésie ! Je n’idéalise rien en disant cela. Bien sûr, je sais qu’en France, les femmes poètes ont été peu nombreuses pendant longtemps dans la poésie contemporaine, que les critiques femmes étaient rares. Ce que je veux dire ici c’est que cette appartenance à un genre n’incite pas obligatoirement l’obligation d’écrire sur quelques thèmes déterminés », ce qui dénonce un contexte préétabli dans le genre.
Une auteure peut mettre en question le fait même de l’idée de la lettre et pourtant y répondre : « Tu reposes la question de la lettre que je ne saurais écrire tout en l’écrivant », quand une autre fera subtilement allusion au « cercle des poétesses disparues ».
La plupart font référence à la littérature masculine : « Joyce m’a prévenue ; le sexe ressemble à la guerre. Dans ces récifs, j’ai appris que nos corps périssables sont galvanisés par la vie poétique. Rien ne fatigue jamais quand on jouit d’écrire ».
Le livre galvanise une réelle féminité sans fureur, ni calicots. Toutes les lettres ont une véracité forte.
Quand l’une d’entre elles dit « Je n’écrirai pas de lettre à une jeune poétesse », je comprends. Comme je laisserais plutôt parler la Littérature comme elle veut s’exprimer.
« Littérature » est un mot féminin. J’espère que les hommes ne m’en voudront pas de le rappeler ! Le principal étant tout de même de ne pas vouloir devenir autrement ce qui est déjà : « Ne cherche pas à devenir poétesse, tu l’es déjà ». Avec encore : « je n’ai que ma bibliothèque à te léguer, je ne suis pas coach de développement personnel », il y a déjà une orientation à guider ou non d’une certaine façon.
Patrick Devaux
Les auteures :
Aurélie Olivier, Chloé Delaume, Sonia Chiambretto, Rébecca Chaillon, Adel Tincelin, Rim Battal, Liliane Giraudon, Ryoko Sekiguchi, Nathalie Quintane, Milady Renoir, Sophie G. Lucas, Marina Skalova, Lisette Lombé, Édith Azam, Ouanessa Younsi, Sandra Moussempès, Michèle Métail, RER Q.
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