Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Georges Bataille (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain, Georges Bataille, septembre 2019, 48 pages, 12 €
Edition: Fata Morgana
Cette lettre permet de comprendre la relation qui n’allait pas forcément d’elle-même entre Bataille et Char. D’un côté l’obscur des profondeurs, de l’autre une certaine clarté du paysage et de ceux qui l’habitent. D’un côté l’existentialisme et l’absurde, de l’autre les remugles messianismes du surréalisme « historique ».
Certes les deux se réclamaient de ce dernier mais selon une version dissidente plus juste que celle de Breton embrigadé dans certaines ruses et cécités. Ce dernier espérait beaucoup en Char mais n’attendait rien de Bataille. Les deux derniers éprouvent une sympathie mutuelle au nom à la fois d’une perception analogue des contradictions les plus vives qui régissent le monde et l’univers, et par ailleurs d’une douloureuse conscience de l’irrémédiable.
L’époque de la lettre (1946) n’y est pas pour rien. Bataille est déjà tendu vers le vide, Char croit encore à la beauté du séjour tout en devinant sa ruine et son érosion. C’est pourquoi leur amitié resta distante sans vraie complicité ; elle se forma plutôt au sein d’une écoute attentive mais en absence de véritable communauté.
Contrairement à Char, Bataille possède l’inébranlable conviction que ce qui prive l’homme de valeur crée son déshonneur et son indignité. Cela l’emporte et « mérite que tout le reste soit subordonné et au besoin sacrifié ». Bataille pense le contraire même si pour autant il ne s’agit pas d’une recherche « sadienne » du plaisir mais le rappel d’une perte inhérent au peu qu’est l’homme.
En dépit de telles divergences de vue, Char était à même de comprendre Bataille. Les deux sont nietzschéens. Mais chacun à sa façon. A l’homme engagé et aux actes héroïques si l’on en croit son hagiographie, Bataille n’hésite pas à rappeler et à mettre en premier lieu la force inestimable du désir et la souveraineté de la poésie.
Char retiendra cette injonction mais en rejetant une « annexe » importante de Bataille pour qui l’homme assume sa plus intense solitude. L’auteur du Bleu du ciel se réclame de l’« inavouable ». Char échappe à cette aimantation même s’il refuse que ses propres poèmes soient réductibles à un choix politique, à une rébellion « commandée ». Les deux se veulent des rebelles. Mais Char avec une cause. Pour Bataille la causalité prend un bien autre sens et en une reprise du langage bien au-delà que celle que Char entreprend. Chez lui la clarté domine, chez Bataille l’ombre est là.
Jean-Paul Gavard-Perret
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