Les voleurs de sexe, Janis Otsiemi
Les voleurs de sexe, septembre 2015, 200 pages, 18 €
Ecrivain(s): Janis Otsiemi Edition: Jigal
Chaque nouveau roman de Janis Otseimi est l’occasion pour le lecteur éloigné du Gabon de découvrir de nouvelles plaies qui rongent comme un cancer ce pays aux multiples richesses naturelles. Le patchwork amorcé dans ses précédents romans (cf. les critiques publiées dans La Cause Littéraire) se complète ici de deux affaires très liées aux croyances locales et de l’évocation au travers d’un fait divers d’une réalité socio-économique qui contribue à accentuer les écarts entre les riches et les pauvres.
La première affaire qui donne le titre à l’ouvrage se réfère à la croyance relayée par le « radio-trottoir » que des hommes en serrant la main, ou en frôlant un autre mâle, lui volent son sexe. Crime odieux dans un pays où la virilité masculine est plus sacrée que les couleurs du drapeau national et où l’impuissance est maudite. Crime le plus souvent imputé à des étrangers de préférence de confession musulmane, réglé sommairement par une séance de lynchage à mort perpétrée par une population à très grande majorité chrétienne, gagnée par la psychose et prompte à relayer toutes sortes de rumeurs. Sexe, maraboutage, superstition et religions. Risque d’éclatement de la cohésion sociale.
La seconde concerne la franc-maçonnerie qui a connu et connaît toujours en Afrique une expansion singulièrement active auprès de ses élites, tout en restant suspecte aux yeux des populations par la « magie » de ses rites initiatiques considérés comme de la sorcellerie. La découverte par trois jeunes gens dans une voiture accidentée de photos du président Ali Bongo en pleine séance d’intronisation à la Grande Loge Nationale du Gabon va faire souffler un vent de panique sur la gendarmerie qui craint que ces clichés ne soient vendus au plus offrant.
Secret de polichinelle, mais secret d’État.
Enfin, l’auteur aborde de manière détournée les conséquences de la présence économique chinoise au Gabon par la narration du braquage d’un homme d’affaires chinois, directeur de l’entreprise China Wood. Fait divers sanglant qui lui permet de brosser en quelques phrases l’image de ces nouveaux entrepreneurs dans l’esprit des travailleurs gabonais. Ainsi, page 158 : « Cette image idyllique que leur taillait Landry Boutamba de son ancien patron ne collait pas avec l’idée qu’on se faisait des patrons chinois dans le pays. On malparlait beaucoup d’eux ici. On les disait râleurs, menant les employés à la baguette comme des esclavagistes. Et mauvais payeurs, ils l’étaient aussi ».
Pillage des matières premières, exploitation humaine, encouragement au « circuler – ne rien voir – ne rien dire ».
Les romans policiers de Janis Otseimi au fur et à mesure des publications se chargent de sens, de profondeur et de résonance sociale. Si le style reste alerte, les intrigues finement pensées et la langue hautement savoureuse, le ton se durcit, les personnages récurrents, flics et gendarmes sont traités avec beaucoup moins de sourires en coin, les tares d’une société qui peine à rattraper le retard économique, social et culturel dans lequel elle est engluée sont décrites avec plus d’insolence et les exclus de la prospérité, les petits malfrats, avec plus de justesse et de tendresse.
La fresque « polardesque » qu’il nous livre courageusement, puisqu’il travaille et vit toujours au Gabon, n’en finit pas de lancer ses sagaies dans toutes les directions où l’avenir de la démocratie sur cette terre africaine reste fragile et sans cesse menacé par les appétits gargantuesques de quelques-uns. Cela mérite du respect et notre reconnaissance pour tous les petits bijoux qu’il nous donne à savourer.
Catherine Dutigny/Elsa
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