Les violents de l'automne, Philippe Georget
Les violents de l’automne, mai 2012, 344 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Philippe Georget Edition: Jigal
Ce n’est sans doute pas un hasard si Philippe Georget a choisi dans son dernier roman Les violents de l’automne, paru en 2012 aux éditions Jigal, et dont l’intrigue se déroule à Perpignan, de décrire en toile de fond la vie des rapatriés d’Algérie, leurs luttes pour sauvegarder intacte la mémoire de leurs morts, leur nostalgie d’une terre qu’ils sacralisent, leurs rancœurs parfois et leurs désillusions, souvent.
L’année 2012, cinquantième anniversaire de l’accession à l’indépendance de l’Algérie, est aussi l’année où cette ville forte à dix pour cent d’une population ayant des origines pieds-noirs s’apprête à inaugurer Le Centre de documentation des Français d’Algérie, après avoir inauguré en 2003 la stèle aux fusillés et combattants morts pour l’Algérie française, à l’initiative de l’Association de Défense des Intérêts Moraux et Matériels des Anciens Détenus et Exilés politiques de l’Algérie française, et érigé en 2007 le mur des disparus, financé par des fonds privés.
Dans ce roman policier enraciné dans le Languedoc-Roussillon, Gilles Sebag est un lieutenant de police intuitif, à l’excellente renommée, époux parfois inquiet de la fidélité de sa femme et bon père de famille, mais qui a perdu de sa foi en sa profession.
« Il avait mis du temps à comprendre qu’il n’était qu’un petit infirmier condamné à panser les plaies purulentes avec des pommades aux dates de péremption dépassées. La criminalité ne cesserait jamais […] Tout juste pouvait-on espérer faire baisser un peu la fièvre ».
À peine rentré de vacances, la mort accidentelle de Mathieu, un ami de sa fille cadette, lui fournit l’occasion de tirer au clair les circonstances exactes du décès, en complément d’une enquête qu’il pressent bâclée, et d’honorer ainsi la promesse faite à sa fille d’essayer d’en comprendre tous les tenants et aboutissants. Au même moment, le cadavre menotté d’un homme âgé, un certain Martinez, est retrouvé dans un appartement du quartier du Moulin-à-Vent. Il s’agit d’un crime dont les détails laissent penser à une exécution, d’autant que les lettres OAS ont été écrites sur la porte du logement.
Si l’on devine rapidement que les deux enquêtes vont à un moment ou un autre du récit fusionner, on est loin d’imaginer dans quels méandres le meurtre de Martinez va conduire Gilles Sebag et son équipe de policiers à s’enfoncer.
L’affaire s’avère délicate dans une ville où tout ce qui touche de près ou de loin le sort des rapatriés est politiquement et policièrement sous haute surveillance, où l’amertume mais aussi les haines peuvent à tout instant se raviver et embraser les esprits. S’en suit une longue et difficile enquête, ponctuée de deux nouveaux cadavres, qui emmène le lecteur à naviguer du temps présent aux agissements terroristes du début des années soixante, au cœur d’un Alger à feu et à sang.
Les soupçons n’épargnent personne. Des associations de pieds-noirs, des anciens membres du SAC, des barbouzes aux groupuscules de gauche, en passant par la possible vengeance isolée d’un ancien membre des commandos Delta, tout le monde peut avoir une bonne raison de faire disparaître, les uns après les autres, les quelques survivants du groupe terroriste, créé par le lieutenant Roger Degueldre.
C’est dans cette ambiance sulfureuse que Philippe Georget nous plonge avec beaucoup de tact, de finesse et une énorme dose d’humanité. Il le fait au pas compté d’un flic qui cherche à comprendre plutôt qu’à juger. Jamais roman à charge, même si les faits se déroulant en Algérie sont rapportés sans la moindre complaisance, le récit donne la parole à chacun, expose avec le souci du détail exact, le respect d’une réalité historique, les multiples trajectoires de vies brisées. Pénétrant le cœur et l’âme de ses protagonistes, il dénoue, un à un, d’une écriture fluide et élégante, bercée par les accents chauds de la langue catalane, les fils d’un fait divers sordide qui croise le chemin boueux de l’Histoire.
Plus qu’un simple polar, Les violents de l’automne est un livre inspiré qui donne à réfléchir, qui échappe aux simplifications idéologiques et psychologiques, tout en apportant sa contribution à une meilleure appréhension de la complexité du drame des rapatriés. Philippe Georget, une plume désormais incontournable.
Catherine Dutigny/Elsa
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