Les Vagues, Virginia Woolf (par François Baillon)
Les Vagues, trad. Marguerite Yourcenar, 320 pages, 7,30 €
Ecrivain(s): Virginia Woolf Edition: Le Livre de Poche
Dans son journal, Virginia Woolf a noté : « Il y a peu de livres que j’aie écrits avec autant d’intérêt que Les Vagues. (…) Je trouve que cela valait la peine de lutter ». Est-ce à en déduire que la rédaction de ce roman fut une véritable épreuve pour l’écrivaine ? Et d’ailleurs, est-ce un roman, comme on peut se poser la question pour d’autres œuvres de Virginia Woolf ?
Dans tous les cas, il est intéressant de relever une contradiction : se donnant pour but de représenter « la vie elle-même qui s’écoule », la romancière a vraisemblablement eu à se battre pour exprimer les mouvements d’une fluidité propre à l’eau. Cependant, à la façon d’un musicien qui doit lutter longtemps avant de donner naissance à une virtuosité sans effort, Virginia Woolf honore ses intentions de départ : nous voguons, en effet, et le courant n’est pas particulièrement violent. On pourrait même déplorer une forme de lenteur, notamment dans la description des paysages qui ouvre chaque partie du livre (descriptions au reste composées comme de véritables tableaux).
Hors ces descriptions, le livre n’est constitué que de monologues intérieurs, ceux de six amis d’enfance : Suzanne, Jinny, Rhoda, Bernard, Louis, Neville, dont les évolutions seront bien évidemment différentes, à l’image de ces vies intérieures sur lesquelles les fenêtres s’ouvrent pour nous. Un personnage, dont la parole ne nous est pas transmise, réunit le destin de ces six compagnons, ce personnage devenant l’origine des chemins divers que chacun prendra.
Les paroles, qui n’ont une véritable oralité qu’à de très rares moments, sont plutôt le reflet d’une conscience poétique de l’existence. Le dévoilement de ces destins croisés, qui ne se fait qu’à travers des sensations liées aux objets, au passage des gens, et à des réflexions personnelles, paraît aussi impalpable qu’une goutte d’eau tombée sur la peau et séchant aussitôt au soleil. « La vie ne se prête peut-être pas au traitement que nous lui faisons subir quand nous essayons de la peindre » (p.287). Pourtant, nous sommes confrontés à de véritables questionnements, à de véritables urgences de décider ; pourtant, Neville a véritablement été rendu fou amoureux par Perceval, et en soi, nous sommes arrivés à partager la vie entière de chacun d’eux.
Peut-être se trouve-t-il, accompagnés que nous sommes par cette conscience de l’éphémère en toutes choses, une question finale au bout de notre traversée : qu’est-ce qui nous appartient réellement dans cette existence ? « … je suis obligé de me souvenir de choses perdues dans le lointain et dans les profondeurs, sombrées dans l’une de ces innombrables existences, dissoutes en elles : des rêves, des choses qui faisaient partie du décor, et ces commensaux, ces vieux fantômes à demi inertes qui me hantent nuit et jour (…) fantômes de ce qu’on aurait pu être. Mais qui ne furent jamais nés » (p.310). Certes, nous avons déjà la certitude de ce qui est au bout du chemin : aussi Les Vagues fait jouer à la sensation et à notre présence intérieure un rôle principal, défiant la Mort (« C’est contre la Mort que je chevauche… », p.318), défiant le Temps (« Et le Temps s’égoutte… », p.201). En somme, toute considération factuelle n’est rien au regard de ce qui s’écoule en nous, constitutif d’une richesse qui nous est propre – seul élément nous ayant peut-être véritablement appartenu.
La dimension humaine de cet ouvrage est sans doute aussi vaste que sa prouesse stylistique. Ici, nous devons la traduction à Marguerite Yourcenar.
François Baillon
Virginia Woolf, née en 1882, est l’auteur de nouvelles, de romans, tels que Mrs Dalloway, To The Lighthouse, Orlando, ou The Waves, mais également d’essais comme A Room of One’s Own. La plupart de ses œuvres délaissent l’intrigue au profit d’une exploration psychologique et émotive de ses personnages, dans une chronologie souvent diffractée et morcelée. Leur influence a été grande au cours du XXème siècle et continue de s’exercer largement aujourd’hui. Virginia Woolf se suicide en 1941.
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