Les Sacrifiés, Au cœur de la tragédie arménienne, Élise Boghossian (par Guy Donikian)
Les Sacrifiés, Au cœur de la tragédie arménienne, Élise Boghossian, éditions Plon, octobre 2024, 202 pages, 21 €
Edition: PlonÉlise Boghossian est la petite-fille d’un immigré arménien, Zadig, victime du génocide de 1915. Mais l’auteure est également à la tête d’une ONG, EliseCare, qui vient en aide aux victimes de guerres. Les attaques turco-azéries de 2020 dans le Haut-Karabagh l’ont bouleversée, et les questions sur le devenir de son pays d’origine l’ont immanquablement conduite à reprendre le fil de son histoire, de celle de son père et de son grand-père. Ce sont là les deux axes, les deux entrées de son texte : la guerre en Artsakh (Haut Karabagh) menée par l’Azerbaïdjan que la Turquie seconde, et la cristallisation de sa mémoire par l’écriture pour honorer la vie de ses ascendants.
Élise Boghossian a bien évidemment été alertée par les attaques menées sur le Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, d’autant plus que « l’adversaire recrute à tour de bras des mercenaires en Libye, en Syrie, au Pakistan ou en Afghanistan. Et la Turquie s’affiche fièrement aux commandes de ce carnage ». Ne clame-t-on pas d’ailleurs, au plus haut niveau de l’État turc, qu’il faut achever « les restes de l’épée », expression privilégiée pour désigner aujourd’hui encore les rescapés du génocide et leurs descendants.
La diaspora arménienne n’en est pas pour autant restée inactive, tant pour alerter l’opinion que pour aider financièrement à la défense du territoire. L’Arménie est bien entendu parie prenante, mais face aux forces turco-azéries, les besoins sont immenses.
Quand on apprend que Kim Kardashian a donné plusieurs millions d’euros, tout comme Georges Clooney et Mel Gibson, on se met à penser que cette fois-ci la Turquie ne l’emportera pas…
L’héritage que porte chaque Arménien de la diaspora est nourri « dès le berceau d’histoires imaginaires illustrant un royaume peuplé de parfums, mais aussi de fantômes et de souvenirs inconnus ou inaccessibles. Des âmes errantes qui ont pris racine à Bagdad, Alep, Beyrouth, Marseille, Buenos Aires. L’auteure sait peu de choses sur son grand-père, qui a vécu les massacres, « témoin direct du génocide arménien, et des drames qui ont frappé mon peuple au début du XXème siècle ».
Ce grand-père, pierre angulaire de l’histoire de l’auteure, va échapper à la mort, contrairement à la presque totalité de sa famille qui, elle, sera massacrée. Il mourra d’une crise cardiaque peu de temps après son arrivée en France où il aura finalement migré. Sa petite-fille, Élise, ne l’a pas connu.
Stepanakert est la capitale du Haut-Karabagh. Elle résiste en octobre 2020 aux attaques et bombardements de l’Azerbaïdjan. « Les bombardements s’intensifient, les plus jeunes crient de peur à chaque sirène, et chaque fois, les mêmes angoisses, les mêmes prières se renouvellent : fermer les yeux en suppliant qu’aucun être cher ne soit blessé ».
Des colonnes de déportés arméniens, à partir de 1915, en direction de Deir-es-Zor, dont peu survivront, aux déplacés de Stepanakert en 2020, Élise Boghossian fait le parallèle des souffrances endurées par ce peuple. La mort en 1915 et les années qui suivirent, les morts en 2020 ET 2023, tout semble obéir à un continuum d’injustices, de souffrances, de morts pour un peuple dont l’histoire trimillénaire n’est plus à démontrer, contrairement à ce qu’affirme le dictateur azerbaïdjanais quand il vocifère que le Haut-Karabagh a toujours été en Azerbaïdjan. Ce Haut-Karabagh qui vit naître l’alphabet arménien, ce lieu aux centres monastiques de plus de dix siècles dont églises et monastères sont voués à la destruction. Tout sera fait, semble-t-il, pour que rien ne subsiste de la présence arménienne dans ces lieux désormais sous contrôle azéri…
Mais, et l’auteure en témoigne dans ses lignes, nos mémoires sont précieuses, et la « diaspora arménienne est une superpuissance qui, bien souvent, ne mesure pas l’étendue de ses forces. Nous sommes les descendants de la première nation chrétienne, héritiers d’une tradition spirituelle d’une incroyable richesse. Et si, en plus de cet héritage, dans un chant d’espérance, les Arméniens renforcent leur capacité à s’unir, je suis intimement convaincue qu’il y aura toujours l’espoir de changer le destin de l’Arménie ».
Guy Donikian
Élise Boghossian est l’auteure de : Au royaume de l’espoir il n’y pas d’hiver, Se soigner en zone de guerre (Robert Laffont 2015) ; Prévenir et soulager le cancer, les vertus de la médecine chinoise (Laffont 2022, J’ai lu 2024). Elle est à la tête de l’ONG Elisecare qui vient en aide aux victimes en zone de guerre.
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