Les quatre éborgnés, Alice Massat
Les quatre éborgnés, sortie : 10 janvier 2013, 160 p. 16,90 €
Ecrivain(s): Alice Massat Edition: Joelle Losfeld
Bienvenue chez vous, « frères humains ». Jusqu’à quel degré ressemblons-nous aux personnages du livre. Sommes-nous Lune, Jefferson, Gaspard, Ugolin ou bien plus sûrement un peu tous à la fois au gré des circonstances de nos vies. Par choix ou par nécessité ? Car c’est le propos de ce livre : jusqu’où sommes-nous capables d’aller pour satisfaire nos besoins ? Jusqu’à demander un sac rempli de billets de banque en échange d’une déclaration publique ? S’agit-il d’un « œil pour œil », d’individus en situation d’échanges permanents. Feutrée ou plus violente, la sollicitation des autres et l’ajustement de nos comportements est permanent.
Lune débute un stage dans un journal qui hésite pour sa une entre deux sujets et les traite parallèlement jusqu’au dernier moment. S’ensuivent des rencontres dans un univers beaucoup plus réduit qu’on ne le croit. La « une » la plus probable concerne un écrivain dont Lune est devenue la secrétaire par le hasard d’une rencontre et dont il est le protecteur. Elle n’a pas d’objectif précis, elle est en errance affective et professionnelle et sans les ressources qui lui offriraient une autonomie. Ses choix, comme ceux des autres, sont alors guidés par la nécessité. Elle n’y échappe pas, elle est une héroïne ordinaire.
Progressivement on découvre les liens qui lient les protagonistes dont les trajectoires se croisent, par leurs métiers ou leurs liens familiaux, dans un climat d’attente et de suspicion. Les éborgnés involontaires – on ne le fait jamais exprès – ont en commun une signature, quatre mouches, symbole des proies prises dans la toile d’une araignée. De quoi s’agit-il ? Qui est à l’origine des blessures ? Il faudra attendre le dernier paragraphe pour le savoir. Lune, très jeune femme intelligente, côtoie, fréquente, mais n’entre jamais totalement dans le jeu. Observatrice attentive, elle a vite appris de ses aînés et elle est prête à saisir, elle aussi. Elle est le pivot de cette histoire dans laquelle chacun conserve la posture qui l’arrange. N’est-ce pas l’attitude la plus répandue, qui consiste pour chacun d’entre nous à ne livrer aux autres que la partie qui nous est favorable.
Alice Massat se livre à un enchevêtrement délicat de situations et de rencontres dans lesquelles chacun regarde l’autre avec les yeux – ou l’œil – de l’intérêt, jusqu’à ne plus discerner leurs comportements. Vision tronquée, regard au travers du viseur de l’intérêt, c’est la démonstration qui nous est faite. Les phrases courtes, insistantes, créent la vivacité, ajoutent aux actions conduites par les personnages, tous dans le désir de voir leurs souhaits se réaliser au plus tôt.
L’allusion au livre de Guy Debord (directeur de la revue Internationale Situationniste et décédé en 1994), La société du spectacle, indique clairement les buts de l’auteur. On peut regretter qu’elle se laisse parfois aller à des explications sur les comportements quand on aurait préféré des suggestions par la narration, par exemple, à propos des codes vestimentaires, de l’aspect physique ou de l’argent.
Gilles Brancati
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