Les poètes morts n'écrivent pas de romans policiers, Bjorn Larsson
Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers, traduit du suédois par Philippe Bouquet, 2012, 491 p. 22 €
Ecrivain(s): Björn Larsson Edition: Grasset
Il y a ordinairement autant de distance entre le roman policier et la poésie qu’entre le jeune Werther et Hercule Poirot… bien qu’il existe des lecteurs prisant tout autant chacun de ces deux genres.
Björn Larsson a osé réunir dans un même livre poésie, crime, enquête policière, réflexions sur la poésie…
Le héros : Jan Y Nilsson est un poète, un vrai, de ceux pour qui l’écriture poétique est « une vocation à laquelle on [voue] son existence, sans considération de modes ni de tendances ».
Et voici qu’il se met, le traître, sur commande de son éditeur, à écrire… un roman policier !
Et voilà qu’il se permet de mourir quelques heures à peine avant d’apprendre par ce même éditeur que son roman sera un best-seller et lui rapportera des millions d’euros par contrats signés sur épreuves avant même qu’en soit écrit le dernier chapitre…
Jan Y Nilsson, poète doublement assassiné, littérairement d’abord, puisque ses livres ne se sont pas vendus de son vivant, puis physiquement, ce qui constitue le crime fondateur du roman policier (il est vrai qu’assassiner des poètes est une des préoccupations préférées de certains régimes), est certes le héros du roman mais le personnage principal en est un policier amateur et lui-même auteur (en secret) de poésie, Barck, et tous les rôles secondaires évoluent dans cet univers déplorablement restreint des amoureux ou des éditeurs d’ouvrages poétiques et forment le cercle dramatiquement réduit des lecteurs de Jan Y Nilson.
Le résultat de cette combinaison a priori monstrueuse est que le lecteur se retrouve avec deux livres en un.
Le premier pourrait s’intituler : « Qu’est-ce que la poésie ? », question à quoi le narrateur répond, en porte-parole des dernières pensées du héros qu’il va faire tuer, en exécuteur testamentaire du personnage dont il est en train de mettre en mots la mise à mort : « Tout ce qui était connu, banal, routinier et prévisible était l’ennemi de la poésie… ».
Car, corollairement, le narrateur nous introduit dans la pensée, entre autres, du policier Barck qui, tout en menant l’enquête, développe sa propre conception de ce que doit être, par nature, le poète, et livre sa vision de la fonction de la poésie : « On ne devenait pas poète […], on l’était de corps, d’esprit, et d’âme ».
Barck « entendait que la littérature était faite pour contrarier la réalité, les préjugés, les idées préconçues, les généralisations, les stéréotypes ; qu’elle devait gêner, surprendre, irriter, susciter la polémique et la révolte… ».
Le deuxième pourrait avoir pour titre : « Qui a tué Jan Y Nilsson et pourquoi est-il mort ? ».
Exprime-t-il une volonté de l’auteur de tourner en dérision le genre du roman policier ?
Björn Larsson met ainsi en scène une demi-douzaine de protagonistes, plus ou moins suspects, plus ou moins impliqués dans la recherche de la vérité, tantôt considérés comme possibles auteurs du meurtre, tantôt ayant le statut d’adjuvants pour l’inspecteur Barck, chacun exposant, par le truchement du dialogue ou de l’introspection narrative, sa perception personnelle du genre poétique et de la place du poète dans la société contemporaine.
En effet, toute l’intrigue se situe à notre époque, en phase chronique avec des événements dont certains ont été médiatisés quelques mois à peine avant la parution du livre, sur toile de fond d’un contexte politique européen et mondial ultralibéral et ultrafinancier qu’analyse, critique, et dénonce ouvertement et lucidement l’auteur, ce qui représente une raison de plus pour se lancer sans plus attendre dans la lecture de cet intelligent roman aux multiples facettes.
Patryck Froissart
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