Identification

Les Passeurs de littérature, Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 14.09.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Les Passeurs de littérature, Amin Zaoui

 

Il existe bel et bien une poignée d’acteurs culturels qui, de temps en temps, jettent le pont entre les deux rives de la production littéraire, arabophone et francophone. Les passeurs ! Et tant mieux. Tentant, avec un esprit ouvert, d’introduire des fiches de lecture autour du roman algérien de langue arabe dans les espaces médiatiques francophones. Et tant mieux. Il faut rendre hommage à ces quelques plumes bilingues, ces lecteurs bilingues, entre autres Sara Kharfi, Fayçal Métaoui, Amine Idjer, Hacen Ouali, Merzak Bagtache, Djilali Khallas…

À travers l’espace qui leur est réservé, continuent à fournir un noble effort pour une meilleure connexion entre les deux champs littéraires algériens. Mais malgré cet effort fourni, les écrivains arabophones non traduits en français ne jouissent pas de visibilité médiatique dans les titres francophones. Il faut le signaler. Pour illustrer cette non-visibilité médiatique, je rapporte, ici, une histoire qui m’a été racontée par le défunt romancier Tahar Ouettar. Juste, après la traduction de quelques-uns de ses romans, sur un ton étrange, interrogateur et amer, Tahar Ouettar m’a fait cette confidence : “Je me suis senti, pour la première fois, dans la peau  d’un écrivain algérien lorsque j’ai été  traduit  par Marcel Bois.

Le jour où j’ai été traduit en français, en Algérie, même le comportement de mon dentiste a changé envers moi. Grâce à Marcel Bois, je suis devenu connu et reconnu dans la société littéraire algérienne.” Le témoignage de Tahar Ouettar, même s’il remonte à une dizaine d’années, nous montre à quel point la langue, dans la société d’intellectuels en Algérie, est déterminante dans la confection des noms, dans le montage des images et le façonnage des symboles. Ce témoignage reste crédible et réaliste jusqu’à nos jours.

L’écrivaine Ahlème Mostaghanemi est la romancière la plus lue dans le monde arabe. Ses livres sont tirés à des centaines de milliers d’exemplaires. Elle est vue comme une star dans le monde arabe au même niveau que celles de la chanson ou du cinéma. Dès qu’elle a été traduite en français, elle n’a pas attiré grande foule. Ses romans traduits en français sont passés dans le silence, en Algérie comme dans le monde francophone. Sans grand bruit ! Est-ce la faille dans les textes ? Dans le goût du lecteur ? Ou dans la visibilité médiatique ? Dès qu’un romancier arabophone est traduit en français, en Algérie, il fait, en quelque sorte, sa deuxième naissance littéraire et médiatique. Pour ne pas dire sa vraie naissance littéraire. Encore une fois, ce n’est pas le problème de la langue en elle-même ni de la qualité d’écriture (au moins chez quelques-uns) mais c’est tout un ensemble d’enjeux sociologiques et psychoculturels. Des écrivains ont quitté la langue arabe une fois qu’ils ont trouvé un accueil confortable et une reconnaissance plus créatrice en écrivant en français. Le cas de l’écrivaine Sarah Haidar est palpable. Cette dernière a commencé son parcours romanesque en arabe mais sans grand écho. La même auteure, dès qu’elle a publié son premier roman Virgules en trombe  en français, s’est trouvée bien accueillie par la presse. Par le lectorat aussi. Et pourtant, il faut le signaler, le courage exprimé dans ses romans en arabe n’est pas loin de celui écrit dans son roman en français. Certes, les journaux arabophones font, en nombre d’exemplaires, un tirage plus consistant par rapport à celui réalisé par les titres francophones. Mais le “nombre” ne fait pas “l’ombre” !

En Algérie, l’arabisation est généralisée dans l’éducation nationale et dans les universités, depuis déjà plus d’un quart de siècle, avec d’énormes carences enregistrées dans l’enseignement de la langue française. Dans une situation linguistique pareille, certes, en nombre, en quantité, le lectorat arabophone est plus élevé par-rapport à celui des francophones. Mais le lectorat arabophone, sans tomber dans la généralisation, a une sorte de rejet vis-à-vis du livre littéraire. Du moins une réticence. Encore une fois, et sans tomber dans la généralisation, c’est un lectorat tourné plutôt vers le livre religieux, pédagogique ou fanatique. Les deux meilleurs livres arabes vendus en Algérie, d’après des statistiques fiables et révisées, sont Tafssir el Ahlam (interprétation des songes) de Ibn Sirin (653–728) et La Tahzane (ne sois pas triste) de Aïdh Al Qarni. Ce genre de lecture nous montre la face et l’identité du lecteur arabophone dans notre pays. Le champ littéraire arabophone, à mon sens, souffre d’un manque de lectorat en conquête du plaisir. Le lectorat décontracté ! Libéré et libre dans son imaginaire.

 

Amin Zaoui

 


  • Vu: 3187

A propos du rédacteur

Amin Zaoui

Lire Tous les textes d'Amin Zaoui

 

Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009