Les nuits de Vladivostok, Christian Garcin
Les nuits de Vladivostok, janvier 2013, 360 pages, 20,50 €
Ecrivain(s): Christian Garcin Edition: Stock
Par quel hasard le Français Thomas Rawicz, sorte de rêveur poète aventurier, se retrouve-t-il, sans l’avoir voulu, à Vladivostok, alors qu’il croyait avoir pris un train pour rejoindre son épouse Marie à des milliers de kilomètres de là ?
Sur quel quiproquo les Chinois Zuo Luo et Chen Wanglin, justiciers volontaires, chasseurs de proxénètes, croisent-ils le chemin de Rawicz en une rencontre pour le moins violente ?
Quelle force occulte transforme-t-elle l’antagonisme initial entre les deux Chinois et le Français en un protagonisme qui les amène à ne plus se quitter sur la piste d’un mystérieux criminel nommé Thomas Krawczyk ?
Quel est l’obscur dessein du destinateur qui, de Moscou, fait aboutir le long et fou périple pédestre d’Oleg Svechnikov à Vladivostok, tout droit en les lieux que sillonnent les deux Chinois ?
Quel mystérieux génie réunit cependant sur les bords du lac Baïkal, très loin de Vladivostok, Marie, l’épouse de Thomas Rawicz, et deux femmes étranges que chacun des personnages présentés ci-dessus a croisées à un moment ou à un autre de sa vie, deux dames au contact de qui s’installe une atmosphère fantastique à la Edgar Poe, deux créatures qui lisent dans les pensées et semblent tout connaître des relations existant ou étant sur le point d’exister entre tous les acteurs du drame qui est en train de se nouer ?
Quel lien unit l’insaisissable Thomas Krawczyk, que les Chinois traquent dans Vladivostok, et le roi des bandits américains José Ortiz, qui dirige, depuis sa crypte située au cinquième niveau des douze étages souterrains dans lesquels vit sous New-York une pègre grouillante et inquiétante, un nébuleux réseau criminel mondial ?
On pourrait croire, à la lecture de ces interrogations, que Christian Garcin a produit ici un roman noir.
Il n’en est rien.
Si le lecteur est suspendu, de la première à la dernière page, au fil du récit, ce n’est pas par l’envie de connaître le résultat d’une enquête policière dont la relation serait particulièrement propice à le tenir en haleine.
Non ! Si le roman de Christian Garcin passionne, prend, et ne lâche plus, c’est dû au maillage que l’auteur trame avec une rare ingéniosité et une évidente perversité autour du lecteur qui, pris au piège des labyrinthes de l’histoire, est forcé, s’il veut s’en dépêtrer, d’aller de l’avant, à l’aveuglette, en s’efforçant de résoudre les énigmes qui sont judicieusement (vicieusement ?) placées une par une sur son chemin.
« Pour tout dire, ce genre de scénario invraisemblable m’amusait assez… ».
Christian Garcin, de Vladivostok à New-York, nous entraîne dans un captivant jeu de (fausses) pistes, dont l’entrelacs est rendu encore plus inextricable par l’entrecroisement parallèle des voix, provoqué par le brusque passage d’un narrateur à un autre. Ses personnages semblent eux-mêmes se rendre compte du caractère apparemment aléatoire de leur histoire :
« Cette coïncidence n’étonnait pas vraiment Wanglin, tant il était persuadé que nous ne sommes au bout du compte que le jouet de forces aussi neutres qu’impeccablement structurées, dont l’entendement se situe très loin hors de notre portée… ».
En une sorte de fonction méta-narrative, l’auteur livre, dans les discours de ses personnages, des indications, sème des indices sur la nature de son dessein littéraire :
« Et qu’aimerais-tu écrire ? Des romans ? Des poèmes ?
– Je ne sais pas, dit Irina. Je ne suis pas sûre qu’on choisisse vraiment. Ce qui viendra à moi. Peut-être des romans aux allures de poèmes. Ou l’inverse : des poèmes bâtis comme des romans. Des histoires petites et douces. Ou remplies de carnages effroyables. Ou les deux à la fois… ».
Tout le fantastique de ce roman envoûtant est inscrit en ces lignes !
Patryck Froissart
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