Les Mots rares, Juliette Brevilliero (par François Baillon)
Les Mots rares, Juliette Brevilliero, septembre 2021, 88 pages, 10 €
Edition: Editions Galilée
Oser la composition d’une œuvre en en appelant aux « mots rares » ne peut être qu’un défi de poète et, dans tous les cas, ne peut avoir pour finalité que la poésie. Et quel défi ! Suivant la démarche de Juliette Brevilliero, les mots rares ont ici une direction toute particulière : tenter de raconter l’inracontable et d’« esquisser l’inouï des instants ».
Si l’on regarde du côté des deux précédents recueils (Chair papier et Mangeurs de rues), la poète avait, outre le goût avancé des sonorités, une appétence certaine des vocables qu’on rencontre assez peu. Vraisemblablement, elle a souhaité toucher la substantifique moelle de son exploration avec ce nouvel ouvrage, et de là, sous un « ciel zinzolin » et autre « coruscation », nous fait connaître une « immarcescible pensée » et une « absence cordiforme », la « triskaïdékaphobie » croise la « vésanie », pour ne citer que quelques exemples. Les Mots rares nous conduiraient-ils à l’orgie verbale ? Au contraire, cette radicalité dans la proposition poétique ne signe-t-elle pas un amour profond de la langue ?
Le titre du poème Pornéia : de quel amour sème-t-on ? le laisse volontiers suggérer : la poète y mentionne les différents mots grecs désignant autant d’amours différents, pour aboutir à ce « Pornéia », qui exprime l’avidité dans l’amour, la dévoration, tout autant que son irrépressible besoin. Juliette Brevilliero semble vouloir établir un même rapport avec les mots, de sorte que ce recueil est aussi verbal qu’organique, ne laissant aucune place à la demi-mesure.
Et cependant, la contemplation et la rêverie ne le désertent pas, comme le montrent ces Minutes olympiennes : « Dans la chambre lambrissée / aux paupières persiennes / lourdes d’épauler le néant / et languissantes d’ennui / entends-tu le volètement des minutes olympiennes / qui t’appellent et s’enfuient ? » (p.71). Juliette Brevilliero est tout autant poète quand elle use des mots les plus simples, comme dans Fais de moi ta guitare : « Joue de moi / comme d’elle / dans tes bras / Dans ton dos / d’amant du tard / mon cœur résonne / jaloux d’une guitare » (p.33/34). Elle sait aussi se faire conteuse admirable, comme dans le très beau La belle à la citadelle de coquillages et le sablier nostalgique.
Il ne faut donc pas craindre ses mots rares, car ils ne le sont pas tous ici, et même quand elle nous perd, on accepte volontiers d’être pris au piège de la poète, qui ne nous laisse jamais longtemps sans ressources. Au final, l’inracontable aura-t-il pu être raconté ? Et quand on parle d’inracontable, parle-t-on des secrets les plus extrêmes de l’inconscient ? Quand on fait du langage un personnage absolu, comme Juliette Brevilliero le fait, parvient-on, mieux qu’en aucune façon, à se saisir de l’ineffable ?
La quête semble impossible. Et pourtant, le chemin parcouru ici est pavé d’étapes extraordinaires : le langage y est multiple, aussi roi que fou, aussi féroce que délicieux. Il y a une volonté de jeu, c’est indubitable, mais il y a également une volonté d’unité et de sens, signant l’émergence d’un objet irisé qui ne cesse de vouloir atteindre sa cohésion.
François Baillon
Juliette Brevilliero, née en 1986, est psychologue et poète. Et l’auteure, chez Galilée, de trois recueils : Chair papier ; Mangeurs de rues ; Les Mots rares.
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