Les mères qui blessent, Se libérer de leur emprise pour renaître, Anne-Laure Buffet (par Pierrette Epsztein)
Les mères qui blessent, Se libérer de leur emprise pour renaître, Eyrolles, juin 2018, 163 pages, 18 €
Ecrivain(s): Anne-Laure Buffet« Quoi de plus parfait aux yeux d’un petit enfant que ses parents ? ». Il est réconfortant, même dans certaines circonstances extrêmes, de croire la vox populi qui prétend que les femmes posséderaient dans leurs gènes « l’instinct maternel ». Dans les livres saints on vante « La Vierge Marie », symbole de la mère sacrificielle. D’innombrables poèmes et chansons populaires célèbrent la mère dévouée à ses enfants. Le jour de la fête des mères, on incite les enfants à la glorifier. Quelle belle image pieuse ne nous a-t-on exaltée si longtemps ! La mère était intouchable jusqu’à, à certaines époques, offrir une médaille aux mères de familles nombreuses. Combien de livres pathétiques nous content les mères admirables qui ont donné naissance à des fils prodiges. Comment alors certains enfants ne se sentiraient-ils pas exclus de la normalité et même coupables de ne pas vouer à leur mère un impératif d’amour sans réserve ?
Un enfant qui ne reçoit pas à sa naissance un minimum d’amour et d’attention des personnes qui en ont la charge ne peut survivre. Alors, pour pouvoir se maintenir existant, l’enfant va accepter l’attitude de ces parents comme normale. « Il cherche à leur ressembler ou au moins à leur convenir ».
Pourtant, innombrables sont les écrivains qui nous ont alertés en décrivant, dans des romans à succès que l’on nous donnait à lire dès le collège, les rapports conflictuels qu’ils entretenaient avec des mères dures, parfois haïes pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Anne-Laure Buffet en cite deux en exergue de son ouvrage, Paul Léautaud et Sir Winston Churchill. Nous pouvons ajouter à ceux-ci certains souvenirs de lectures qui ont, pour beaucoup d’entre eux, marqués notre adolescence et ont permis, par identification, de consoler certaines enfances douloureuses. Nous n’évoquerons que quelques-unes de ces mères qui, dans des fictions proches de l’autobiographie, ont connu un succès mondial : Madame Lepic dans Poil de Carotte de Jules Renard, Folcoche dans Vipère au poing d’Hervé Bazin, Mamita dans Tanguy de Michel del Castillo et plus près de nous, Lucie dans Le livre de ma mère de Delphine de Vigan. Nous sommes loin du mythe de l’enfant choyé, entouré d’amour et de joie par sa mère.
Freud lui-même vante « [ces] précieux alliés dont il faut placer bien haut le témoignage car ils connaissent d’ordinaire une foule de choses entre le ciel et la terre dont notre sagesse d’école [entendons la psychologie traditionnelle et la psychiatrie] n’a pas encore la moindre idée. Ils nous devancent de beaucoup, nous autres hommes ordinaires, notamment en matière de psychologie, parce qu’ils puisent là à des sources que nous n’avons pas encore explorées pour la science ».
Mais depuis Freud, les scientifiques ont avancé dans la recherche sur le cerveau et sur la connaissance de ses fonctionnements inconscients. Et le fantasme de la mère idéale dont chacun rêve de bénéficier s’est largement effrité. La réalité est bien plus complexe.
Dans son livre, Les mères qui blessent, Se libérer de leur emprise pour renaître, ce sont des mères maltraitantes et des enfants maltraités que Anne-Laure Buffet, spécialiste de l’accompagnement des victimes de violences psychologiques, sonde. Même si elle développe l’aspect théorique qui étaie sa pratique, elle se sert pour cela des patients qu’elle a eu à accompagner. En effet, elle a à cœur de rester au plus près de son expérience pratique.
Avec une grande clairvoyance et une empathie très scrupuleuse, l’auteur évoque l’emprise dévastatrice de ces mères sur leurs enfants et les moyens que les enfants doivent élaborer pour se défendre et se protéger de cette influence destructrice pour réussir à se forger le chemin de leur propre désir avec le maximum de liberté intérieure possible.
« En parlant des mauvaises mères, nous entrons dans un grand carnaval où chaque masque en cache un autre. Des masques qui tombent rarement – leur chute mettrait en grand danger celles qui les portent : les mères. Loin de condamner sans appel ces mères défaillantes, c’est en psychologue éclairée et prudente que Anne-Laure Buffet va explorer les raisons inconscientes multiples qui poussent ces femmes à la maltraitance. Elle en étudie les manifestations mais elle nous en dévoile aussi les origines, et dans celles-ci elle n’oublie pas le rôle essentiel dévolu aux pères.
L’auteur ne se contente pas de faire un constat sur les mères défaillantes qui figerait les situations dans une position irrévocable. Pour établir une possible sortie de l’impasse où la situation pourrait se paralyser et pour clore son ouvrage, elle se tourne dans sa dernière partie du côté de l’enfant. Elle établit un diagnostic de la situation et en étudie les probables conséquences. Dans cette phase, son évaluation de la situation fait preuve d’une grande prudence : « Dire qu’un enfant maltraité deviendra un adulte maltraitant est faux et extrêmement culpabilisant pour les victimes. S’il porte la marque d’un traumatisme, il n’est pas condamné à le reproduire ».
Enfin pour clore son ouvrage avec un optimisme mesuré et une lucidité tempérée par l’expérience, elle propose à ses lecteurs des ouvertures possibles pour les enfants afin de leur permettre d’accéder à une indépendance accessible et devenir ainsi des adultes responsables : « Une fois enclenché le processus de compréhension et d’acceptation, la culpabilité cède la place à la responsabilité… L’adulte s’approprie qui il est en lieu et place de ce qu’on a fait de lui… ». Et comme l’énonce Virginie Megglé dans son ouvrage Les séparations douloureuses, nous mentionnerons cette phrase citée par l’auteur : « La responsabilité devient l’objectif à placer au cœur de ses préoccupations ».
Si cette publication nous paraît novatrice c’est du fait que Anne-Laure Buffet allie, dans sa démonstration, les recherches actuelles en psychanalyse et celles qui sont à la pointe de l’exploration du cerveau en neurosciences sans oublier les théories cognitivistes. Ces différents champs de découverte peuvent d’après elle, par un savant dosage, non plus s’opposer et rivaliser mais s’enrichir les uns les autres. Sa conviction étant qu’ils ont tout intérêt à coopérer pour le profit de chacun des protagonistes concernés, les parents comme les enfants.
Finalement, qui peut prétendre être une bonne mère ? Faut-il, dans certains cas, rompre le lien pathologique ? Faut-il pardonner ? Chacun choisira son propre chemin. En tout cas, ce qui est indispensable pour être capable d’être un jour adulte, c’est de « pouvoir un jour quitter sa mère ». C’est une étape essentielle de toute construction psychique. « Le plus souvent, cette rupture se fait naturellement, sans douleur, sans conflit et sans obligation ».
« La mère parfaite est une gageure, un objectif que beaucoup se fixent et ils s’y perdent ». Cette quête d’idéal inatteignable peut conduire à toutes les dérives. Ne suffit-il pas comme le préconisait Donald W. Winnicott que les « mères soient suffisamment bonnes » pour que l’enfant soit équilibré ? C’est ce que cet ouvrage démontre avec brio.
La lecture de ce livre nous conduit à respecter nos enfants et pour cela nous pousse à abandonner toute volonté d’absolu idéalisé pour garder une position raisonnable possible. Et pour cela, une bonne mère n’est-ce pas celle qui, un jour, finit par douter et si elle se sent fragile dans ce rôle si complexe, accepte de rencontrer une personne compétente qui sache l’écouter et l’accompagner et ose se mettre à lui parler ?
Pierrette Epsztein
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