Les Maîtres du printemps, Isabelle Stibbe
Les Maîtres du printemps, août 2015, 181 pages, 17,90 €
Ecrivain(s): Isabelle Stibbe Edition: Serge Safran éditeur
Les Maîtres du printemps est un roman choral, articulé à partir de trois personnages principaux, dont les vies vont s’entrechoquer, se répondre, se faire écho.
Le premier acteur, Pierre Artigas, est métallurgiste à Aublange, localité de Moselle, de la vallée de la Fentsch, région de tradition industrielle autrefois propriété du comité des forges, et par voie de conséquence de la dynastie des de Wendel. Pierre, ainsi qu’il est nommé dans le récit, est syndicaliste, descendant d’immigrés espagnols ; il croit à la solidarité ouvrière, à l’importance de la perpétuation de l’industrie, à la perpétuation de la dignité ouvrière. Il s’implique sans compter dans des actions de toutes sortes : piquets de vigilance, interview auprès des médias pour faire céder « L’Indien » le propriétaire des hauts-fourneaux d’Aublange, peu désireux de prolonger l’activité industrielle en Lorraine.
Le second acteur est Max OBerlé, sculpteur de renom, atteint d’un cancer qui lui laisse peu de chances de survie vu son grand âge – quatre-vingts ans –, a pour dernier projet une statue d’Antigone dans la nef du Grand-Palais. Il se laisse convaincre par des membres du ministère de la Culture, qu’il peut contribuer à la survie du site en sculptant à partir de l’acier produit à Aublange.
La dernière partie prenante est Daniel Longueville, homme politique, député du parti socialiste. Il convoite un maroquin, le portefeuille du ministère de l’Industrie, qui, il l’espère, lui permettra d’imposer nationalisation provisoire du site d’Aublange, et de sauver la production d’acier locale. Cet homme est en rupture, par rapport à ses origines modestes, il tente d’acquérir les codes pour s’imposer dans cet univers politique, cruel, implacable, surtout vis-à-vis de ceux non issus du sérail…
Isabelle Stibbe décrit l’intimité des réflexions de ces trois hommes, leurs ressorts les plus secrets, les plus intimes ; chacun contribuant pour sa part à enrichir cette réflexion sur le monde moderne, sur la condition ouvrière, sur l’art, sur le monde moderne, la nécessité de rêver grand, si l’on ne veut pas capituler en rase campagne et renoncer à ses idéaux, à transformer le monde.
L’un des grands mérites de ce roman est d’associer de nouveau la notion de beauté à l’univers ouvrier : celui de la production pure, brute : « Ne me branche pas là-dessus parce que je ne peux plus m’arrêter. C’est extraordinaire quand tu vois la fonte en fusion qui jaillit, ce feu qui se déverse avec une puissance incroyable (…) C’est tellement plus grand que toi que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au monde, et tu l’aimes ton usine, tu l’as dans la peau ».
Par ailleurs, les personnages nous attachent en ce qu’ils sont en situation, pour des raisons différentes tenant à leur parcours, de donner le meilleur d’eux-mêmes pour sauver ce site industriel.
Le sculpteur Max OBerlé y voit comme un rempart contre sa propre maladie, « L’humanité contre la rigueur de la loi, le cœur contre le calcul politique. La violence de l’histoire d’Antigone faite de morts et de rébellion me paraît la plus proche de la violence en œuvre à Aublange. (…) Antigone, celle qui dit non, c’est peut-être aussi ma façon, j’y songe soudain, de refuser mon cancer ».
On le voit, le roman d’isabelle Stibbe est un hommage aux héros positifs, au principe espérance. Il renoue avec des courants de la littérature française, Zola, Hugo, Aragon, Vailland, dont certaines citations sont, à bon droit, en exergue de certains paragraphes… Il instille l’idée, saugrenue de nos jours, que l’on ne doit pas, sous prétexte de courber l’échine sous un faux réalisme, renoncer à espérer, à changer le monde, à l’embellir. Peut-on décliner une telle proposition ? Assurément non.
Stéphane Bret
- Vu : 3684