Les mains pleines de bruits, Mireille Boluda
Les mains pleines de bruits, août 2016, 106 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Mireille Boluda Edition: L'Harmattan
« Je ne suis rien de ce que j’avais rêvé d’être » nous annonce Mireille Boluda dans Qu’importe, sa première nouvelle brève. Son recueil Les mains pleines de bruit en comporte vingt huit. Il suffit qu’un désir s’éveille et s’avive pour que les doigts et l’esprit de l’écrivain se mettent en chemin et que le récit naisse, l’âge ne fait rien à l’affaire. Vingt-huit courtes nouvelles qui sont des éclats de vie, des éclats de sensations, des éclats de rire, des éclats de tristesse, qui déferlent sur la page blanche, des bribes de petits riens qui font tout le charme, la singularité et l’épaisseur d’une existence.
Mais dans ses brèves, ce qui est mis en évidence chez ces personnes simples que l’auteur nous permet d’approcher, c’est leur fragilité, en effet chez chacun, une pièce manque au puzzle, l’inachèvement de ces destins miniatures lève une béance, une faille qui évite toute mièvrerie superficielle. L’auteur porte un infini respect à chacun de ses personnages qui ont une présence sous l’écorce parfois ingrate d’existences définitivement tronquées. Dans Le tacot de Jules, la lucidité l’emporte « C’était comme s’il recevait des inconnues s’agitant comme des éphémères. Soudain une étrange tristesse l’envahit. Il avait l’impression de voir un vieux film muet, dont il ne reconnaissait pas les acteurs et dont il aurait oublié l’histoire ».
Mireille Boluda tisse son ouvrage avec des mots auréolés de silences pour se déprendre quelques heures du tapage du monde. Elle cherche la simplicité de son dire. Par là-même, elle nous donne à lire sa partition avec ses modulations, ses cadences, ses sons, ses tonalités, ses accords. Elle apporte ainsi à l’ensemble de sa mélodie une certaine harmonie en mode mineur.
Elle utilise, avec art, l’anaphore dans la nouvelle Les matins : « Il y a des matins ». Comme une ritournelle.
Elle expose des facettes de la vie rêvée : « Il y a des matins où je serre fort les paupières pour que ne m’échappent pas mes rêves ».
Parfois, la partie devient le tout : « Un camée d’une couleur corail ».
Parfois le fantasme s’introduit dans la vie jusqu’à « oublier » la banalité du quotidien, « l’heure et son rendez-vous chez le libraire ».
Parfois, la surprise surgit quand la réalité est plus attirante que ce qui se joue sur l’écran, où l’ouvreuse est plus admirée que toutes les vedettes parce qu’elle les concentre toutes : « Je ne rêvais plus qu’à une seule chose : La séance de cinéma ».
Parfois, l’amour peut conduire à la mort désirée : « Ils descendaient. Elle partait ».
« La sauvageonne » s’est assagie au fil des années mais elle a gardé en elle ce plaisir du chant du monde pour le moduler avec ses vibratos et ses différentes tonalités.
Ces nouvelles pèsent tout le poids d’une longue expérience et d’une infinie tendresse pour l’être humain. Des vies simples et tranquilles ou tourmentées se déploient et défilent sous nos yeux si nous gardons comme l’auteur une curiosité en alerte et un regard prompt à saisir l’insolite, le baroque de certaines situations du quotidien.
À travers toutes ces brèves tranches de vie, ce qui nous est dépeint c’est un rapport à l’expérience vécue qui explore toutes les gammes de la réalité humaine du ludique au profond, du désespéré à l’enjoué dans une incitation à l’ouverture à l’autre emplie de générosité. L’auteur n’a rien perdu de sa malice pour mettre en relief l’insolite comme une évidence.
En effet, Mireille Boluda déroule sous nos yeux l’histoire de gens humbles, de gens de peu, qui n’ont pas su ou pas pu transmettre leur histoire.
Elle nous entraîne dans la profondeur d’une parole singulière avec la recherche d’une beauté de la langue comme le signe du respect qu’elle porte à chacun de ses personnages, de leur situation, en mettant en relief un trait de leur singularité fragile pour ne pas qu’ils se perdent dans l’oubli. Peu nous importe si ces êtres ont existé ou sont le fruit de son imaginaire, l’essentiel étant qu’elle fait en sorte qu’on y croit puisqu’elle leur redonne souffle et vie et nous les rend proches de nous. Ces destins croisés, ces tranches de vie au quotidien, sont un appel certain à l’intelligence du lecteur, puisque nous pouvons nous y reconnaître, puisqu’ils nous deviennent proches.
Dans la nouvelle Jour de mai, le personnage féminin pose cette question existentielle essentielle : « Quelles couleurs voulait-il donner à sa vie ? » Et elle répond : « C’est finalement nous qui colorons les êtres et les choses ». N’est-ce pas la plus belle leçon de vie que nous pouvons, en tant que lecteur, mettre en acte chaque jour ?
Pierrette Epsztein
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