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Les mains pleines de bruits, Mireille Boluda

Ecrit par Pierrette Epsztein 06.01.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, L'Harmattan

Les mains pleines de bruits, août 2016, 106 pages, 12,50 €

Ecrivain(s): Mireille Boluda Edition: L'Harmattan

Les mains pleines de bruits, Mireille Boluda

 

« Je ne suis rien de ce que j’avais rêvé d’être » nous annonce Mireille Boluda dans Qu’importe, sa première nouvelle brève. Son recueil Les mains pleines de bruit en comporte vingt huit. Il suffit qu’un désir s’éveille et s’avive pour que les doigts et l’esprit de l’écrivain se mettent en chemin et que le récit naisse, l’âge ne fait rien à l’affaire. Vingt-huit courtes nouvelles qui sont des éclats de vie, des éclats de sensations, des éclats de rire, des éclats de tristesse, qui déferlent sur la page blanche, des bribes de petits riens qui font tout le charme, la singularité et l’épaisseur d’une existence.

Mais dans ses brèves, ce qui est mis en évidence chez ces personnes simples que l’auteur nous permet d’approcher, c’est leur fragilité, en effet chez chacun, une pièce manque au puzzle, l’inachèvement de ces destins miniatures lève une béance, une faille qui évite toute mièvrerie superficielle. L’auteur porte un infini respect à chacun de ses personnages qui ont une présence sous l’écorce parfois ingrate d’existences définitivement tronquées. Dans Le tacot de Jules, la lucidité l’emporte « C’était comme s’il recevait des inconnues s’agitant comme des éphémères. Soudain une étrange tristesse l’envahit. Il avait l’impression de voir un vieux film muet, dont il ne reconnaissait pas les acteurs et dont il aurait oublié l’histoire ».

Mireille Boluda tisse son ouvrage avec des mots auréolés de silences pour se déprendre quelques heures du tapage du monde. Elle cherche la simplicité de son dire. Par là-même, elle nous donne à lire sa partition avec ses modulations, ses cadences, ses sons, ses tonalités, ses accords. Elle apporte ainsi à l’ensemble de sa mélodie une certaine harmonie en mode mineur.

Elle utilise, avec art, l’anaphore dans la nouvelle Les matins : « Il y a des matins ». Comme une ritournelle.

Elle expose des facettes de la vie rêvée : « Il y a des matins où je serre fort les paupières pour que ne m’échappent pas mes rêves ».

Parfois, la partie devient le tout : « Un camée d’une couleur corail ».

Parfois le fantasme s’introduit dans la vie jusqu’à « oublier » la banalité du quotidien, « l’heure et son rendez-vous chez le libraire ».

Parfois, la surprise surgit quand la réalité est plus attirante que ce qui se joue sur l’écran, où l’ouvreuse est plus admirée que toutes les vedettes parce qu’elle les concentre toutes : « Je ne rêvais plus qu’à une seule chose : La séance de cinéma ».

Parfois, l’amour peut conduire à la mort désirée : « Ils descendaient. Elle partait ».

« La sauvageonne » s’est assagie au fil des années mais elle a gardé en elle ce plaisir du chant du monde pour le moduler avec ses vibratos et ses différentes tonalités.

Ces nouvelles pèsent tout le poids d’une longue expérience et d’une infinie tendresse pour l’être humain. Des vies simples et tranquilles ou tourmentées se déploient et défilent sous nos yeux si nous gardons comme l’auteur une curiosité en alerte et un regard prompt à saisir l’insolite, le baroque de certaines situations du quotidien.

À travers toutes ces brèves tranches de vie, ce qui nous est dépeint c’est un rapport à l’expérience vécue qui explore toutes les gammes de la réalité humaine du ludique au profond, du désespéré à l’enjoué dans une incitation à l’ouverture à l’autre emplie de générosité. L’auteur n’a rien perdu de sa malice pour mettre en relief l’insolite comme une évidence.

En effet, Mireille Boluda déroule sous nos yeux l’histoire de gens humbles, de gens de peu, qui n’ont pas su ou pas pu transmettre leur histoire.

Elle nous entraîne dans la profondeur d’une parole singulière avec la recherche d’une beauté de la langue comme le signe du respect qu’elle porte à chacun de ses personnages, de leur situation, en mettant en relief un trait de leur singularité fragile pour ne pas qu’ils se perdent dans l’oubli. Peu nous importe si ces êtres ont existé ou sont le fruit de son imaginaire, l’essentiel étant qu’elle fait en sorte qu’on y croit puisqu’elle leur redonne souffle et vie et nous les rend proches de nous. Ces destins croisés, ces tranches de vie au quotidien, sont un appel certain à l’intelligence du lecteur, puisque nous pouvons nous y reconnaître, puisqu’ils nous deviennent proches.

Dans la nouvelle Jour de mai, le personnage féminin pose cette question existentielle essentielle : « Quelles couleurs voulait-il donner à sa vie ? » Et elle répond : « C’est finalement nous qui colorons les êtres et les choses ». N’est-ce pas la plus belle leçon de vie que nous pouvons, en tant que lecteur, mettre en acte chaque jour ?

 

Pierrette Epsztein

 


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A propos de l'écrivain

Mireille Boluda

 

Mireille Boluda vit à Marseille. Elle a passé son enfance dans les Cévennes, dont elle aime la rigueur du climat, la terre sauvage et l’espace infini de la nature. À l’adolescence, elle s’installe à Marseille et c’est alors un nouvel univers qui s’offre à elle : la mer, la lumière, la gaieté des habitants, leur faconde, et cette façon si particulière d’aimer le soleil. Elle tombe amoureuse de la Cité phocéenne et c’est à cette époque aussi qu’elle découvre tout à la fois la musique, l’Opéra et les théâtres. Mireille Boluda aime sa ville un peu comme l’aime Jean-Claude Izzo, non seulement pour ses rues qui serpentent, l’entrelacs de ses chemins parfois à peine goudronnés, mais aussi pour le Roucas-Blanc, pour le quartier de Noailles, pour la calanque de Maldormé, située dans une petite anse qui la protège du vent et pour cette mer aux rêveries plus grandes que l’espérance des oiseaux à élargir leur vol. Passionnée par l’Italie, par ses peintres, par la musicalité de la langue italienne, elle fait souvent le voyage vers Rome, Florence, ou Turin. Enfin ses auteurs de prédilection sont aussi bien Russel Banks, Javier Marias, Orhan Pamuk ou Nedim Gürsel. Toutefois, l’œuvre de Pascal Quignard reste celle vers laquelle elle revient toujours. Les mains pleines de bruits est sa première publication.

 

A propos du rédacteur

Pierrette Epsztein

 

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Rédactrice

Membre du comité de Rédaction

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d'édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset

 

Pierrette Epsztein vit à Paris. Elle est professeur de Lettres et d'Arts Plastiques. Elle a crée l'association Tisserands des Mots qui animait des ateliers d'écriture. Maintenant, elle accompagne des personnes dans leur projet d'écriture. Elle poursuit son chemin d'écriture depuis 1985.  Elle a publié trois recueils de nouvelles et un roman L'homme sans larmes (tous ouvrages  épuisés à ce jour). Elle écrit en ce moment un récit professionnel sur son expérience de professeur en banlieue.