Les mâchoires du serpent, Hervé Claude
Les mâchoires du serpent, novembre 2012, 336 pages, 21 €
Ecrivain(s): Hervé Claude Edition: Actes Noirs (Actes Sud)
Ashe, un rentier français donne un coup de main au « police officer » qui le missionne pour des investigations qu’il ne pourrait pas faire lui-même compte tenu de sa notoriété. L’anonymat de Ashe est une discrétion utile. Il devient son bras, son homme de confiance. C’est lui qui le pilote, mais Ashe prend aussi des initiatives. On retrouve un premier corps mutilé, émasculé, découpé. Les soupçons se portent tout d’abord sur une « sale bête », en principe disparue depuis longtemps, la seule qui serait capable de déchiqueter ainsi le corps d’un homme. L’animal mythique, celui qu’on croyait disparu et qui réapparaît parce qu’enfoui dans un inconscient collectif, Ashe n’y croit guère. À moins qu’il s’agisse d’anciens rituels aborigènes. On ne sait pas, personne ne sait tellement ce meurtre, puis les suivants sont monstrueux. Pourquoi cette sauvagerie ? Par sadisme, pour brouiller les pistes ?
Autant le dire tout de suite, l’enquête policière est un prétexte à une évocation de l’Australie d’aujourd’hui et de la part d’histoire qu’elle n’a pas résolue, celle d’une conquête et de l’échec de l’assimilation de la population aborigène menée à marche forcée. Jusqu’au dénouement nous rencontrons l’immensité d’un territoire qui autorise bien des excès, des exploitants miniers enrichis sans vergogne, les villes qui concentrent la population et où, comme partout, circulent l’alcool et la drogue. Le tout sur fond d’une homosexualité proposée ici sans tabou.
L’opposition aborigène et ses quelques meneurs sont une part incontournable de ce pays, et il s’agit là de la génération écartelée entre ses traditions et un monde moderne dont l’accès lui est limité quand il ne lui est pas refusé. On y ajoute la problématique du métissage et une volonté déterminée à intégrer une génération entière pour la noyer culturellement dans la modernité blanche.
Le mythe d’une Australie avancée, moderne, sans faille ni défaut, sorte d’eldorado, est mis à mal, mais on apprend peu de choses nouvelles. Alors que c’était l’occasion de nous montrer une Australie différente, l’auteur nous emmène dans un déjà su. C’est dommage.
Ces évocations bien détaillées suffisent-elles à faire des Mâchoires du serpent un bon livre ? Je ne le crois. Non pas que je me sois ennuyé en le lisant, car comme toutes les enquêtes on souhaite avancer puis connaître la suite, mais, il faut avouer que le prétexte est un peu mince et somme toute assez ordinaire. Ça manque de souffle, ça traîne au rythme de ce pays bien décrit, avec honnêteté, mais sans étonnement.
La longue confession de la fin, qui nous donne la résolution d’une équation à plusieurs variables, est assez gauche. Même si les indices ne nous ont pas tout au long de l’histoire laissé envisager le dénouement avant son terme. L’auteur des meurtres tombe dans un piège et déballe facilement à la police le pourquoi du comment. On aurait aimé un dénouement moins traditionnel, plus subtil.
Pour finir sur une note plus positive, le livre est bien construit avec une bonne épine dorsale, et il faut reconnaître à Hervé Claude le talent de savoir décrire lieux et situations avec netteté, sans que ce soit pesant.
Gilles Brancati
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