Les journalistes se slashent pour mourir, Lauren Malka
Les journalistes se slashent pour mourir, avril 2016, 166 pages, 10 €
Ecrivain(s): Lauren Malka Edition: Robert Laffont
Lauren Malka inaugure la collection Nouvelles mythologies des éditions Robert Laffont, avec un essai sur la presse face au défi numérique, intitulé Les journalistes se slashent pour mourir. Cette référence au best-seller Les oiseaux se cachent pour mourir allie d’emblée le fond et la forme. Car ce texte, qui n’est pas censé en être, est de la fiction par bien des aspects. Il appartient à un genre appelé la non-fiction créative. Il ne s’agit pas d’un roman mais il est écrit comme un roman et en respecte le processus narratif.
Voilà une habile façon de nous plonger, sans perdre de temps, dès la lecture de son titre, au cœur de l’interrogation essentielle du livre : le journalisme, à l’ère 2.0, n’est-il devenu qu’un divertissement, que de l’entertainment, comme peut l’être un certain genre de littérature qui ratisse large ?
Pour répondre à cette question, Lauren Malka imagine un échange épistolaire entre un étudiant en journalisme et un historien du journalisme, dans lequel le premier expédie ses missives par voie électronique, tandis que le second lui répond par voie postale.
Mais, surprise, c’est l’étudiant, qui se fait l’apôtre du « c’était mieux avant » et qui déplore la situation actuelle. Aujourd’hui, le journalisme est enseigné par des consultants du Web qui apprennent à optimiser les contenus, à écrire short, speed, dans un langage toujours friendly et consensuel, sans oublier de hashtaguer, ni de liker, ni de twitter, pour augmenter toujours et encore le nombre defollowers.
La raison ? Satisfaire le premier lecteur : l’outil de référencement de Google, qui donnera de la visibilité à l’article et qui attirera donc les internautes. Alors l’unique solution consiste à intégrer dans ses écrits les mots clés les plus populaires de Google Analytics. Mais où est la liberté de la presse, où est la liberté de l’auteur, obligé de rédiger ses articles avec des termes, et donc des sujets, imposés, à la seule fin de toucher la cible la plus large possible ? Ernest Hemingway, Albert Londres et Joseph Kessel doivent se retourner dans leurs tombes !
Et alors ? réplique l’historien. Les journalistes redécouvriraient-ils la roue ? Et les journaux auraient-ils réellement attendu Internet pour se soucier de gagner la course aux lecteurs, pour n’en avoir jamais assez, pour chercher à augmenter indéfiniment leur nombre, pour les racoler en masse, appelons un chat un chat ?
Dès 1631, Théophraste Renaudot, après avoir créé La Gazette, le père fondateur des journaux français, se préoccupe de savoir comment il pourrait bien en assurer la plus grande diffusion possible.
L’étudiant et l’historien, chacun visant à rallier l’autre à sa cause, s’opposent ainsi pour notre plus grand bonheur, dans ce page turner qu’il est impossible de lâcher avant la fin.
Finalement, le Net n’est-il pas qu’un outil ? Or un outil ne guide pas la main de celui qui le manie, au contraire, il lui obéit et facilite la vie de l’utilisateur. Les Kessel, Hemingway et Londres de demain sont sûrement ceux qui s’approprieront l’outil numérique au lieu de le rejeter, de le craindre ou, pire, de le subir.
Les journalistes se slashent pour mourir est écrit par une auteure qui sait de quoi elle parle, puisqu’elle a travaillé aussi bien dans la presse écrite que dans la presse Web, et qui n’a pas peur de vivre avec son temps. C’est sans doute la raison pour laquelle elle a su livrer un texte drôle, érudit et pertinent qui se lit aussi facilement et avec autant de plaisir.
Laurent Bettoni
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