Les indices de l’oubli, Arnaud Genon (par François Baillon)
Les indices de l’oubli, Editions de la Reine Blanche, août 2019, 112 pages, 12 €
Ecrivain(s): Arnaud Genon
On est probablement plus qu’un lecteur lorsqu’on se plonge dans Les indices de l’oubli d’Arnaud Genon. Comme Effie, sa fille de huit ans, on l’accompagne d’un bout à l’autre dans sa découverte ou sa redécouverte des photos de famille qu’il a placées, il y a longtemps, dans une pochette bleue. Et il faut dire qu’Arnaud Genon sait nous prendre par la main. A contre-courant d’une époque de plus en plus gagnée par l’accélération, nous sommes amenés à parcourir, presque une à une et quasi chronologiquement, les photographies qui constituent le passé de l’auteur – un passé parfois oublié à jamais, parfois retrouvé partiellement ou, de manière plus rare, complètement. Ce récit, dont les phrases descriptives tentent de saisir le réel dans son objectivité, a d’abord l’essence d’un texte technique, tel le photographe s’appliquant à une mise au point. Or, bien vite, ce travail de reconquête de son histoire ouvre des réflexions et des questions qui dépassent l’image elle-même, et c’est finalement bel et bien sur la mémoire, ses fluctuations, ses coffres-forts fermés à double tour ou ses armoires grand ouvertes sur le temps, que porte l’ouvrage. Ainsi rencontre-t-on au détour d’une pensée sur les contradictions du geste photographique : « l’expérience photographique se transforme immanquablement en une épreuve métaphysique » [p.102]. Aucune narration, aucune élaboration fictionnelle ne découlera pour autant de ces observations, comme le souligne Marta Caraion, la préfacière.
En prenant en compte le fait que nous avons tous, à un moment ou à un autre, posé les yeux sur un album de famille, malignement le récit nous relie à notre histoire personnelle, malgré nous, et il ne serait pas étonnant qu’à l’issue de la lecture, nous nous sentions conduits à sortir de leur cachette des photos de famille anciennes et à les regarder attentivement – comme je l’ai fait.
C’est que l’histoire d’Arnaud Genon, présentée sous cette forme, est l’histoire de chacun. Ce qui est assez extraordinaire, c’est que derrière la rigueur d’un travail méthodique sur l’image et ce qu’elle représente, l’ouvrage nous saisit soudain avec émotion et nous plonge dans des réflexions vertigineuses sur ce qui reste de notre existence passée, ce qui s’éloigne de nous et ce qui n’est plus. Une phrase résume admirablement les choses à cet égard : « L’acte photographique (comme l’on parlerait d’un acte amoureux) n’est jamais que la rencontre du sentiment de la perte d’un brin d’éternité et de la vaine tentative de le retenir pour toujours » [p.62]. Une personne apparaît comme au centre de cette œuvre « photolittéraire » : la maman disparue, dont l’absence est évoquée avec pudeur et comme une volonté de distance, qui contribue probablement à faire naître cette émotion particulière en nous. A ce titre, on ne saurait trop inviter chacun à prolonger sa lecture en visitant le site « Le chant des matelots », où certaines photos évoquées dans le livre, dotées d’accompagnements audio ou vidéo, nous sont dévoilées.
Par ailleurs, et presque logiquement, l’ouvrage accueille certaines photographies d’Hugues Castan, qui complètent idéalement le récit aussi personnel qu’universel d’Arnaud Genon.
François Baillon
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