Les hommes préfèrent les hommes, Brigitte Fontaine
Les hommes préfèrent les hommes, novembre 2014, 144 pages, 17 €
Ecrivain(s): Brigitte Fontaine Edition: Flammarion
Au début de sa carrière dans la chanson, il y eut un titre qui, avec le recul, peut passer pour une déclaration d’intention, voire un projet artistique, un de ses premiers albums (à l’époque du vinyle) s’intitulant Brigitte Fontaine est… folle ! Les albums suivants affirmèrent, en compagnie d’Areski et de quelques autres (dont un certain Jacques Higelin), une certaine marginalité, et un style qui ne ressemblait qu’à elle. Explorant de nouvelles tonalités à chaque nouvel album, comme Comme à la radio enregistré avec l’Art Ensemble of Chicago, ne se pliant guère au format de la diffusion radiophonique. Cela n’empêchera pas vraiment le succès et les albums puis les livres – avec un premier titre, Chroniques du bonheur aux édition des femmes publié en parallèle à l’album Le bonheur (1975) – se succéderont, à la fois en marge et très dans l’air du temps. La chanteuse et graphomane, comme elle se désigne elle-même dans son premier livre, poursuit une carrière dans un monde où elle fait figure de « déjantée », même si le terme n’est pas encore d’un usage courant, dont le monde reste étranger à certains (alors lycéen puis étudiant, je me souviens avoir laissé bien des amis sceptiques et peu convaincus, même parmi ceux qui aimaient beaucoup Higelin, par exemple).
Après une relative éclipse de quelques années, Brigitte Fontaine nous est revenue au virage des années 2000, avec une image plus déjantée que jamais, nourrissant son succès autant de sa musique toujours en explorations que de son personnage difficilement classable et certainement pas imitable. Un personnage qui est sans doute autre chose qu’un personnage, une présence et une énergie qui se jouent des codes et de l’artistiquement correct, affirmant sans cesse la nécessité de suivre des voies où prime la liberté. Une affirmation qui est surtout mise en actes, en musiques et en mots, revendiquant entre autres l’écriture comme espace de liberté totale.
Cette liberté elle en use dans Les hommes préfèrent les hommes où son écriture semble d’abord un jeu où les logiques de récit, de style, voire de syntaxe, sont délibérément ignorées – ou plutôt bousculées. Les noms des personnages en disent peut-être plus que toutes les tentatives pour rendre compte de cette écriture, de ces histoires : Pignouf, Viandox, Ninon la Troyenne, la Gogottte, Angelo Spontex, Hester, Mimi Glamour… Il y a quelque chose qui peut faire penser à l’écriture d’un Boris Vian, qui savait lui aussi jouer avec les cadres imposés, tacitement ou explicitement, réinventant un style qui se nie comme style tout aussitôt.
Après un premier récit dérisoire, absurde et glauque, à moins qu’il ne soit lyrique et romantique mais grimé en farce médiévale, Brigitte Fontaine nous emmène dans de courtes ou très courtes histoires, presque des saynètes, où des vies peuvent se déglinguer, entre rose et noir, dans un univers où les seuls repères sont peut-être les pénibles pesanteurs du quotidien et des convenances. Entre rires et farces, entre faits divers sordides et détournements poétiques, les conventions ne cessent de trébucher, de se casser la figure (de style) malmenées par les idées et images, les phrases qui surgissent sans prévenir.
L’ordre littéraire convenu est bien malmené, se rappelant au passage qu’un Rimbaud, avec ou sans buffet, se souciait bien peu d’être « rimbaldien », et même ne l’était pas. On peut être séduit autant que l’on peut trouver que tout cela relève du procédé, d’une facilité aujourd’hui trop convenue et attendue. En tout cas, il y a dans cette écriture un pied-de-nez à toutes les écritures académiques, une littérature qui refuse de se prendre au sérieux. Quant à la petite fille qu’a pu être un jour la dame de 75 printemps, il semblerait qu’elle n’ait pas arrêté de déjouer tous les conformismes, réalisant peut-être son rêve : « Quand je serais grande, je ne serais jamais adulte ».
Marc Ossorguine
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