Les hommes meurent, les femmes vieillissent, Isabelle Desesquelles
Les hommes meurent, les femmes vieillissent, août 2014, 224 pages, 18 € (ce livre existe aussi en ebook, 12,99 €)
Ecrivain(s): Isabelle Desesquelles Edition: Belfond
« Le plaisir quand on l’attrape, faut pas le lâcher… Je suis une voleuse d’abandon »
Isabelle Desesquelles
Isabelle Desesquelles a 37 ans quand elle publie son premier roman, Je me souviens de tout (éditions Julliard, 2004). S’en suivra un album de contes pour enfants, un récit littéraire. Dans un précédent texte, Fahrenheit 2010, Isabelle Desesquelles raconte sa vie de libraire, puis vient Un homme perdu (éditions Naïve, 2012, Prix Murat en 2013). Elle a depuis fondé une résidence d’écrivains, la maison De Pure Fiction. Les hommes meurent, les femmes vieillissent, sorti aux éditions Belfond, est son sixième roman et fait déjà partie de la 1ère sélection du prix Femina 2014.
Entrer à l’Eden, le salon d’esthétique, si bien nommé, de la belle Alice, « là où on est bien », c’est entrer dans le commencement ; caresser le corps des âmes errantes, aller sous la peau, pour oublier le moi, s’aimer soi et répondre à cette question lancinante pour les 10 femmes qui peuplent la collection d’histoires du nouveau livre d’Isabelle Desesquelles :
Que nous reste-t-il, quand l’absence est trop forte…
Pour arriver à l’amour ?
Chaque chapitre est une fiche, consacré et complété par Alice, au fil de ses discussions avec ses « clientes » : dix portraits de femmes sur quatre générations. Il ne s’agit pas de confidences, faites sur la table de massage, mais de dialogues avec elles-mêmes racontant leur propre vie. Elles sont toutes à la veille ou au début de ces heures qui marquent une existence. Tour-à-tour, chacune y dévoile ses secrets, ses fragilités, ses jouissances, ses défaites, ses rides, ses petits bonheurs, l’allégresse d’aimer, les trahisons, les renoncements causés par les aimants d’une vie – les hommes, l’amant des autres – les femmes.
« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; mais il y a au monde une chose saine et sublime, c’est l’union de deux êtres si imparfaits et si affreux… » acte II, scène 5, On ne badine pas avec l’amour, pièce de théâtre en trois actes d’Alfred de Musset, publiée en 1834.
Une invitation réussie à penser autrement le corps, à replacer l’amour au centre de l’existence.
Mais, face au silence, le monde extérieur ne serait-il emprunt que de mensonges ?
« On est déjà une énigme pour soi, alors pour les autres… On se débrouille comment avec ça ? Comme tout le monde on continue. Et on imagine la vie qu’on aurait eue avec celui ou celle parti trop tôt ; les questions se bousculent. Oh, on ne les pose pas à voix haute, mais à l’intérieur de nous les réponses résonnent. Souvent, elles font mal ».
À vouloir, par l’entremise d’un boudoir des corps – avant que nous passions le pont et que les fantômes viennent à notre rencontre – déclarer : « j’aime à la vie, j’aime à la vie, j’aime à la vie », on se retrouve Lili, 83 ans, blonde platine, qui guette le regard des hommes dans la rue, qui n’a jamais laissé un de ses amants prendre ses aises et saloper sa salle de bains…
Ce boudoir des âmes, n’est autre que la chambre noire voluptueuse, où se fixe l’image, se révèlent, se réveillent les corps endormis des passions heureuses et désirées :
« Quand elle me masse le ventre, il y a un geste que j’attends, un geste que personne, jamais n’a eu pour moi. À un moment Alice soulève mon bassin. Je sais que ses yeux sont fermés, pareil pour les miens. Comme ceux qui font l’amour et veulent être seuls avec leur désir. Il n’y a plus d’amant, seulement une jouissance que l’on prie.
Quand j’aurai un sexe de femme, est-ce qu’il y aura un homme pour fermer les yeux ? »
On pense à un autre Eden, celui de Martin Eden : « Il ne se rendit pas compte que ce qu’il avait vu de si beau dans ce regard n’était que le reflet de ce qu’avait projeté le sien […] Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir », Jack London, 1909.
Les femmes d’Isabelle Desesquelles évoquent aussi la fameuse Ève, l’absente, qui a sacrifié sa vie 15 ans plus tôt, qui aurait laissé une lettre et sans laquelle elles ont toutefois continuées à vivre : « On guettait les oiseaux avant l’aube, le corps engourdi de nos baisers au goût de sommeil. C’est bien que tu saches comment on s’aimait, ton père et moi… Je vais aller en face pour un soin de beauté. Après, je me… ».
Direct, troublant, sensuel, Les hommes meurent, les femmes vieillissent se glisse à merveille entre les doigts d’une main rouge d’ongles, regard amusé et mélancolique des femmes, vers nous, les hommes.
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
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