Les Héritiers du Roi-Soleil, Gilbert Mercier
Les Héritiers du Roi-Soleil, février 2018, 300 pages, 22 €
Ecrivain(s): Gilbert Mercier Edition: Editions de Fallois
La phrase est une des plus simples qu’on puisse formuler en français : « Le roi est mort ». Sujet – verbe – attribut. Elle a résonné au long des siècles pour dire l’imperturbable continuité de la monarchie, sitôt prononcée la suite : « Vive le roi ! ». Si la phrase est simple, le processus qu’elle résume n’est moins et, dans un cas précis, il avait atteint un niveau de complication particulier.
Le long règne de Louis XIV s’accompagna d’un véritable jeu de massacre parmi ses descendants et successeurs potentiels. Ses six enfants disparurent avant lui. Son fils aîné, le Grand Dauphin, successeur naturel, mourut en 1711. L’année suivante, ce fut le tour du petit-fils, le duc de Bourgogne, pour qui Fénelon avait composé le Télémaque. Saint-Simon l’admirait (c’est assez rare pour être signalé), ce qui ne l’empêcha pas de mourir à trente ans, peu après sa femme et avant son fils aîné. Ne restait plus, comme une flamme vacillante, qu’un arrière petit-fils encore enfant, le duc d’Anjou. Ces décès successifs ne pouvaient qu’exciter les ambitions, surtout parmi les bâtards que le Roi-Soleil avait déposés de ci de là et qui avaient été légitimés. La continuité monarchique en ligne directe ne tenant plus qu’à un fil, tous les espoirs leur étaient permis.
Né des amours de Louis XIV et de Madame de Montespan, le duc du Maine faisait partie de cette théorie d’enfants en principe inaptes à jamais monter sur le trône. Boiteux, il fut marié à Louise-Bénédicte de Bourbon, alors âgée de quinze ans, très forte personnalité et petite-fille du Grand Condé, un personnage dont le génie militaire lui permit de faire oublier le rôle qu’il tint pendant la Fronde. Louise-Bénédicte s’estimait mal mariée, contrainte à une mésalliance et, dans le couple, ce fut elle qui prit les grandes décisions, y compris les plus désastreuses. Saint-Simon l’écrivait mieux que quiconque : « Elle avait du courage à l’excès, entreprenante, audacieuse, furieuse, ne connaissant que la passion présente et y postposant tout, indignée contre la prudence et les mesures de son mari, qu’elle appelait misères de faiblesse, à qui elle reprochait l’honneur qu’elle lui avait fait de l’épouser, qu’elle rendit petit et souple devant elle en le traitant comme un nègre, le ruinant de fond en comble sans qu’il osât proférer une parole, souffrant tout d’elle dans la frayeur qu’il en avait, et dans la terreur encore que la tête achevât tout à fait de lui tourner. Quoiqu’il lui cachât assez de choses, l’ascendant qu’elle avait sur lui était incroyable, et c’était à coups de bâton qu’elle le poussait en avant » (Mémoires, éd. Yves Coirault, Gallimard, La Pléiade, 1983, t. II, p. 939). Ce qu’on appelle une forte femme, si petite ait-elle été. À la mort de Louis XIV, le duc d’Anjou (futur Louis XV) n’avait que cinq ans. Se dessina la perspective d’une régence, période toujours délicate (la Fronde avait éclaté lors de la régence précédente). Elle fut assurée par le neveu de Louis XIV, le duc d’Orléans. Ce fut le moment que la duchesse du Maine choisit pour se lancer dans un complot. L’intelligence et l’argent ne suffisent toutefois pas à garantir la réussite de ce genre d’entreprise. On doit compter avec les impondérables qui ne manquèrent pas de se produire.
La duchesse du Maine n’est plus connue que des érudits et des historiens de la littérature en raison du fastueux mécénat qu’elle exerça. D’une plume énergique, Gilbert Mercier fait revivre cette page négligée. Les bons écrivains sont d’abord d’assidus lecteurs et le style de Gilbert Mercier retient quelque chose du Grand Siècle, redonnant corps aux ombres du passé (qu’est-ce que « l’Académie des Instructions », p.266 ?). La duchesse du Maine eût été indignée qu’on la traitât de « personnage de transition ». C’est pourtant bien ce qu’elle fut : nostalgique de l’épopée frondeuse dans une France épuisée par des décennies de guerres, elle assura, grâce aux fêtes qu’elle donna en son domaine de Sceaux et aux esprits brillants dont elle aimait à s’entourer, le lien entre le goût Louis XIV (Bossuet, Racine) et le premier XVIIIesiècle (Montesquieu, Voltaire – dont le père possédait une maison non loin de Sceaux et qui fut attiré par la duchesse du Maine comme un papillon par la lumière).
Gilles Banderier
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