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Les Gardiens de la maison, Shirley Ann Grau (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton le 31.03.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, USA

Les Gardiens de la maison, Shirley Ann Grau, Belfond, Coll. Vintage, mars 2023, trad. anglais, Colette-Marie Huet, 429 pages, 14 €

Les Gardiens de la maison, Shirley Ann Grau (par Martine L. Petauton)


La Collection Vintage de Belfond publie des pépites oubliées, ainsi de ce prix Pulitzer 1965, qui rejoint haut dans la liste les chefs d’œuvre du « Deep South ». Qui croit encore que la littérature sudiste se limite à quelques pages éternelles d’Autant en emporte le vent, avec en fond d’écran, les personnages de Flannery O’Connor ? D’excellents livres peignent les États du sud, de la guerre de Sécession, à la période de lutte pour les Droits civiques, en passant par la Grande Dépression. Toujours les mêmes thèmes, le racisme, la terre, la chaleur, le coton. Souvent, de forts personnages, parfois, des enfants (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, de Harper Lee). Le livre de Shirley Grau s’inscrit dans cette lignée de haute qualité – l’écriture est superbe, et c’est un pur bonheur de retrouver çà et là les échos de nos autres lectures.

C’est l’histoire d’une terre, d’un lieu et d’une maison : « J’ai l’impression d’être enracinée ici, d’être comme les affleurements de granit, les ossements de la terre, décharnés, éternels », dit l’héroïne. Chacun dans la famille Howland s’attache à soigner la terre, l’étendre, la protéger, selon les époques en luttant par exemple contre les Indiens, bien avant la Guerre Civile, puis les vagabonds des années Trente. Chacun – ils portent de génération en génération, le même prénom, William, Abigail, de n’avoir qu’une cause, en ces temps pourtant furieusement idéologiques, s’identifier à un coin de terre et un domaine sur une colline ; et nous, de penser évidemment à Tara… Climat si contraignant des terres du sud, coton, sorgho, tabac, bois sur les collines, marécages, bayous, serpents en embuscade. En lisant, on sent tous les parfums, et on ruisselle sous la touffeur écrasante et presque sombre des fins d’été de là-bas.

Le cœur battant du livre est la ségrégation qui perdure sur ces terres où l’esclavage a levé des années de guerre civile. Sorte d’identité qui, on le sait, vit hélas encore aujourd’hui ; le Blanc toise et humilie le Noir, au minimum s’en différencie, et ceci dans une forme revendiquée de culture, même chez des gens éduqués. La construction chorale du livre laissant la parole aux uns et aux autres, permet un remarquable éclairage. Le héros masculin du livre, William Howland dont on suit le cheminement sous la plume de sa petite fille Abigail, se distingue de ses amis ou voisins ; culture du Sud, certes, mais refus du racisme. Pas mince différence ! Il vit avec une noire, dont les ancêtres ont été libérés en remerciement de leur participation à la guerre avec leurs maîtres (ce sont des Free Jacks, dont le sang noir n’a pas pour autant disparu !). Margaret aura des enfants métis avec William, qui ne seront pas gardés au domaine et devront s’éloigner. Le Philida, d’André Brink, sur l’esclavage en Afrique du Sud, nous revient tout au long du magnifique récit de la femme noire, fille d’un géomètre blanc de la nouvelle route. « La peau noire, elle l’examina, la pinça entre deux doigts… le sang qui lui venait de son père, où était-il donc ? ». Les trois enfants de Margaret synthétisent le métissage qui, aux USA, pose encore d’autres problèmes que la couleur de peau : « Dans le sud, la plupart des gens devinaient que Robert était un noir. Dans le nord, il serait passé pour un blanc »… Mais il y a un pas entre ces enfants adultérins sans droits ni statut, qui ont toujours été peu ou prou légion dans ces terres sudistes, et l’officialité d’une union inter-raciale. Lorsqu’Abigail, devenue fort et riche parti, se marie avec un notable qui veut faire une carrière politique, un « scandale Howland » éclate. La suite, tout en violences et en haines recuites, ne peut que dériver gravement. Dans ce sud des années soixante, juste au bord des luttes les plus dures en termes de Droits civiques, le feu – à tous les sens du terme – couve dangereusement…

Fresque magnifique, que ce livre, ancré avec le réalisme documenté qui s’impose, dans un Sud, qui, loin des crinolines d’Autant en emporte le vent, brasse de période en période ce qui fait les fondements des USA, la terre, l’esprit pionnier, et la couleur de la peau. Toujours.


Martine L Petauton


Shirley Ann Grau est née en Louisiane en 1929. Ses romans souvent primés se déroulent tous dans le Sud profond et explorent les questions du métissage, des femmes. Décédée en 2020.


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A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)