Les frôlements infinis du monde, Richard Rognet (par Philippe Leuckx)
Les frôlements infinis du monde, mars 2018, 152 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Richard Rognet Edition: Gallimard
Quelle déception quand le poème attendu, tant vanté par ailleurs, rassemble plus de défauts que d’atouts !
Et pourtant, les thèmes – une nature touchée du regard, une attention de tous les instants aux « frôlements » – ne sont pas étrangers, au contraire intimement proches.
L’écriture, alors, concède des agacements : ainsi, pourquoi ces incessants retour à la ligne, à d’autres vers, quand le poème en prose s’impose de lui-même aux yeux de son auteur ? Lisons :
Dans cette averse froide
où se sont invités
quelques flocons de neige
on voit le fragile azur
d’un monde qui ne veut pas finir,
un azur qui fut celui
d’un temps immémorial
où je vivais déjà, bien avant ma naissance,
dans cette averse qui se déchaîne
sur la terre et aplatit le jour,
j’aperçois des reflets inquiets
que n’adouciront pas mes rêves,
de joie, en équilibre sur ma vie… (p.50)
Pourquoi donc ? Je n’en ai pas la réponse. Le procédé m’apparaît artificiel. Cette manière de « découper » la prose poétique, de la « rogner » serait-elle indispensable ? En tout cas, le retour à la ligne rompt le rythme et me paraît moins clair.
Ce découpage, ailleurs est assez aléatoire :
Marcher vers l’inconnu
est un sublime éveil, marcher
avec la nuit, le jour
les traces du soleil… (p.90)
Nombre de poèmes souffrent de la lourdeur imposée par une enfilade de conjonctions et/ou de relatives et de fréquentes anaphores :
Et voici que j’entends la pluie
cogner la terre, la pluie qui m’annonce
une bonne nouvelle dont je veux ignorer
où plongent ses racines. La pluie
est rouge… (p.44)
nous sommes du matin qui a besoin de nous
pour que son existence soit le signe
qu’un monde est prêt à lever ses paupières
sur nos maisons où résistent, avec le présent,
les ombres multiples qui nous accompagnent… (p.111)
Ajoutons à ces pesantes phrases un recours immodéré aux verbes faire, être, à il y a…
Sinon, le ton douceâtre des poèmes (ces vocatifs, à l’adresse des mésanges) trouvera peut-être des lecteurs, peu regardants en matière de fluidité. Sans compter les clichés, les poncifs (azur – blancheur de la neige – temps immémorial, etc.)
Soyons juste : le titre est beau, qui, en rien, ne relaie l’écriture, ressassante, pesante, qui en évacue toute la musique. Ce n’est plus le frôlement, c’est l’éraflure.
Dommage.
Philippe Leuckx
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