Les filles aux mains jaunes, Michel Bellier
Les filles aux mains jaunes, 74 pages, 10 €
Ecrivain(s): Michel Bellier Edition: Lansman Editeur
Les damnées de la terre
Deux ans après sa pièce Et des poussières…, Michel Bellier écrit en 2014 Les filles aux mains jaunes. Comment ne pas voir là comme une manière de diptyque d’un théâtre historique, social, et politique ? Le premier opus parle de la vie terrible des mineurs du nord, emportés pour beaucoup d’entre eux par la silicose, exploités selon une organisation implacable du travail, et le second est consacré aux femmes recrutées dans les usines d’armement, durant la Première guerre mondiale, elles aussi victimes de terribles pathologies. La poussière noire du charbon ronge la vie des mineurs, et la poudre jaune du TNT emporte les ouvrières, les rend stériles ou affecte la santé de leurs enfants. Elles sont les obusettes, les munitionnetttes, les canaris, les filles aux mains jaunes, comme le dit Louise (p.51). Louise qui sera justement terrassée par le mal.
Les filles de l’Arsenal forment un quatuor, au sens musical du terme, qui met en place plusieurs combinaisons possibles de voix : être ensemble ou par deux, ou par trois et parfois seule. Il y a Jeanne, l’épouse d’Eugène, Julie l’amoureuse qui est illettrée, Rose qui découvrira la lecture et l’engagement politique, et Louise la militante féministe, révolutionnaire, qui rêve de devenir journaliste. Les hommes ne sont pas sur scène mais présents dans les paroles des femmes. Ils sont au front, les maris, les fils, les amoureux, les frères. Le seul homme qui intervient directement dans la vie des filles c’est le Gradu, qui représente la domination industrielle. Mais il n’apparaît que sous la forme d’une menace inquiétante. Nous suivons l’évolution des quatre personnages au travers de leurs conversations, à la façon d’une chronique que des dates entérinent. La déclaration de guerre en août 14, octobre 1915, février 1916, 1917 de la révolution bolchevique, novembre 1918 de l’armistice et enfin 1943, lorsque la survivante du quatuor, Rose, part en déportation pour faits de résistance, sont autant de repères historiques que fictionnels (Louise tient une sorte de journal, un cahier de notes).
Ce que racontent ces femmes, c’est au fond leur émancipation malgré tout. Rosa (dans Et des poussières…), la femme du mineur, tenait bien sa maison, existait par ses activités domestiques, tandis que Jeanne, Louise, Rose ou Julie, en travaillant à l’usine découvrent une autre vie sociale : la grève, les luttes pour l’égalité entre les hommes et les femmes, et même une envie d’émancipation amoureuse (et sexuelle). Et plus encore, à l’instar de Rose, elles sont capables de trouver d’autres mots, poétiques en chantant lorsqu’elles se retrouvent sur la tombe de Louise (p.70-71) :
Dans la terre sommeille ta jeunesse éternelle
Fleur coupée fleur sauvage
Fleur tombée avant l’âge
Tache rouge à jamais dans nos cœurs
Nous saignons pour toujours de ton souvenir
Fleur sauvage
Coquelicot
Coquelicot
Pour toi Louise
Michel Bellier rend ainsi hommage à toutes les femmes au courage sans faille, aux damnées de la terre, aux épouses et aux mères et à la première d’entre elles, à qui il dédie son texte : Julia.
La pièce a été créée en octobre 2014 au Sémaphore, à Port-de-Bouc par le Dynamo Théâtre dans une mise en scène de J. Cattino et reprise ensuite au théâtre Le Public à Bruxelles.
Marie Du Crest
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