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Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, Barbara Polla (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 19.05.23 dans La Une Livres, Les Livres, Arts, Recensions, Slatkine

Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, Barbara Polla, éditions Slatkine, mars 2023, 224 pages, 28 €

Edition: Slatkine

Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, Barbara Polla (par Yasmina Mahdi)

 

L’ouverture aux femmes

En découvrant le livre d’art de Barbara Polla (née en 1950 à Genève, pneumatologue, galeriste et écrivaine), je note que son premier souci est d’indiquer que « la neutralité » est dépassée par la « pluralité » des propositions identitaires et de transidentités. Comme le titre l’indique, Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, l’on ne peut plus se référer à l’universel, au général, sous l’angle unique du masculin, c’est-à-dire des hommes comme auteurs. En effet, l’étude porte sur un large spectre de la multiformité des corps féminins mis en valeur par les artistes. B. Polla y étudie leur signification au vu des changements de mœurs, sans doute susceptibles de troubler la réception du public.

Le nu féminin marque la quintessence du beau, à peu près universellement, même si y est attachée une idée négative du maléfice et de la tentation. Historiquement, l’acception biblique du corps a longtemps figuré comme sujet central de la peinture occidentale, notamment avec des typologies de saintes entourant la Vierge – la référence absolue du catholicisme. Un registre profane est apparu avec les portraits de femmes bourgeoises ou de filles dans les scènes paysannes et de tavernes. La modernité a fixé des stéréotypes : l’épouse, la mère ou la prostituée. L’appareil photographique a enregistré des femmes anonymes. Dans la société industrielle de consommation, le corps féminin est devenu « monnaie courante », vecteur publicitaire, prétexte pour vendre, un produit mais néanmoins un bien de luxe ventant les « charmes » d’une fille inaccessible. Barbara Polla s’intéresse donc à un éventail de reproductions, de postures, de compositions et d’expressions de femmes d’aujourd’hui, s’alignant toutes dans une volonté commune de réaffirmation et de réappropriation du corps des femmes et de leur esprit.

Au 20ème siècle, l’artiste et théoricien américain Allan Kaprow (1927-2006) a été le premier à créer le happening ou action theater en mettant en scène « l’art au corps », y impliquant la participation du public. En France, le plasticien Michel Journiac (1935-1995), pour ses manifestes, a endossé des rôles pluriels, s’intéressant à la sexualité et aux dispositifs qui la répriment, se substituant, entre autres, à sa mère et à son père. Gina Pane (1939-1990), autre figure majeure de l’art corporel, s’est penchée sur les souffrances du corps féminin, précisant que ses gestes n’étaient pas de la mutilation mais des blessures. Barbara Polla a par ailleurs choisi de privilégier la photographie, un témoignage sans doute plus flagrant de la société actuelle, ainsi que la vidéographie, éloignée du cinéma fabriquant de stars.

L’on peut trouver dans l’ouvrage, la mention de la vidéo récente d’Ali Kazma (artiste turc né en 1971), dans laquelle il y a une mise à distance des travailleuses d’usine et de leur relégation dans un pays non occidental. Cependant, si l’image proposée n’est pas accompagnée d’un texte explicite, elle prête à confusion, d’où la polémique autour de Kinbaku (toujours de Kazma). Il me semble que le modèle de la boxeuse de Dana Hoey (californienne née en 1966), est plus novateur, bien que violent. La performeuse se photographie dans une frontalité combative, les yeux au beurre noir et les poings levés, une récupération d’un classique du genre, le boxeur ; ici, image qui se mêle à l’ambiguïté d’une femme battue. B. Polla consacre un chapitre à la compétition et la volonté de puissance. Voici ce que la plasticienne Dana Hoey en pense : « les femmes trans peuvent parfois récupérer des aspects de la féminité que les féministes américaines ont rejeté, et des féministes comme moi ont coopté des aspects de la masculinité pour nous-mêmes » ; vaste débat… Céline Cadaureille (née en 1981 à Lyon, enseignante-chercheuse), elle, plonge dans une autre optique de l’enfermement de soi, et une certaine forme de réalisme côtoie la métaphore, avec sa sculpture, La maison boulet, prison, tombe et totem. (Les reproductions de ces œuvres sont dans le livre).

Le corps subversif des artistes véhicule des visions opposées à celles du modèle artistique, de magazine, de la cover-girl, du top-model, de la mannequin-objet inexpressive défilant mécaniquement, ou de la bimbo maquillée à talons hauts et tenues courtes, ayant eu recours à la chirurgie esthétique, misant exclusivement sur son physique, ou encore au stéréotype de la blonde. La pratique de la parodie, du déguisement-travestissement est reprise par la newyorkaise Shannon Plumb (en couverture de l’ouvrage), où la plasticienne apparaît scindée en deux, d’un côté arborant une moustache, en costume nœud papillon et de l’autre, perruquée, en robe à froufrous abricot et escarpins. Les célèbres auto-figurations de Cindy Sherman (née en 1954) forment des juxtapositions de visages et de parures assez hallucinants, assemblages parfois monstrueux, poussés jusqu’à l’effroi. Enfermement physique et psychique des femmes transcendé par l’art ? B. Polla cite à nouveau Dana Hoey qui assure que : « La création ne relève pas d’abord du genre, mais d’une position paritaire, déterminée par une conception de la femme comme être humain ». Également, le propos de B. Polla excède « le champ de la norme dominante et de ses gardiens ». L’essayiste exemplifie son ouvrage par de nombreux documents, illustrations et références.

En guide éclairée, Barbara Polla ouvre des passages à travers un territoire encore neuf, sur des thématiques, des choses tues ou taboues révélées dans la création artistique par des femmes et des hommes, des points de vue émanant parfois de « l’entité non binaire ». Il lui est alors nécessaire d’« élaborer une compréhension du monde et tenter de la transmettre », en devenant « Fournisseuse de citations d’artistes ». En rencontrant de nombreux artistes, elle étudie ce que ce phénomène de la réaffirmation de soi, de l’extériorisation et de l’énonciation, en jeu dans les arts contemporains, y compris le théâtre, la littérature, la musique et la danse, produit visuellement, moralement et philosophiquement, en lien avec l’actualité mondiale. Les multiples actions et compositions de personnages féminins procurent « une totalité qui ne nie pas le genre mais le déborde amplement du fait de la multiplicité de ses contextes, sexuels certes, mais aussi sociaux, politiques, intimes, cognitifs, imaginaires ». Ce livre possède en outre la qualité d’être accessible à toutes et à tous.

 

Yasmina Mahdi


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A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

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rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.