Les évaporés, Thomas B. Reverdy
Les évaporés, 21 août 2013, 304 pages, 19 €
Ecrivain(s): Thomas B. Reverdy Edition: FlammarionLes disparus
Les évaporés relate l’histoire d’un homme qui disparaît un beau jour, en pleine nuit, laissant sans nouvelles son épouse et sa fille. Il s’agit de Kazechiro. « Le Japon dort. Kazechiro va partir. Il changera de nom pour son diminutif, il s’appellera Kaze ». Cependant, sa fille Yukiko, qui s’est installée à San Francisco, décide de revenir au Japon accompagnée d’un détective privé et ex-fiancé, Richard, pour retrouver son père.
Dans ce roman, Thomas B. Reverdy restitue tantôt les pensées de Kaze sur les motifs de son départ, tantôt les impressions de Richard sur le Japon et ses difficultés à s’insérer dans la société nippone lorsqu’on est étranger et qu’on ne connaît pas la langue.
Au fil des pages, le récit permet aux lecteurs de saisir l’importance du statut des évaporés dans la société japonaise. Ils sont vus comme des parias car ils déshonorent les traditions familiales et perdent le respect des leurs. Le roman suit alors une filiation qui remonterait à une époque marquante de l’histoire du Japon :
« Ceux que nous appelons ici johatsu remonte à l’époque Edo. Les criminels ou les gens qui avaient une dette d’honneur allaient se purifier aux sources du mont Fuji. Il y a là des sources chaudes et des établissements de bains, ce sont des villes d’hôtels. Ils prenaient une auberge, ils entraient dans les bains de vapeur et ils disparaissaient. C’est pour cela qu’on les appelle des évaporés. Peut-être certains se suicidaient en prenant le chemin de la forêt. Mais d’autres réapparaissaient, quelques années plus tard, ailleurs ».
Cependant, cette disparition est un prétexte pour permettre à l’auteur d’exploiter une double thématique : celle de l’identité et celle des victimes de Fukushima. En effet, le retour de Yukiko est une occasion pour cette jeune femme de faire le point sur sa situation d’étrangère. Elle est étrangère en Amérique sur le plan juridique mais aussi aux yeux des Américains qui la voient avant tout comme une Japonaise résidant à San Francisco. Elle est aussi étrangère dans son propre pays car elle a choisi de partir et de s’installer ailleurs. C’est pourquoi son retour après dix ans d’absence est mal vu. La relation avec sa mère le prouve. D’autant plus que la confrontation avec la réalité japonaise met à mal Richard et Yukiko que tout oppose. Richard aime en Yukiko le fantasme qu’il a de la femme japonaise. Yukiko, quant à elle, est tiraillée entre rester dans ce Japon retrouvé après une décennie d’absence ou bien repartir définitivement.
Le roman de la quête de Kaze mène Richard aux confins du monde, au bout de l’enfer. Il est forcé, pour retrouver les traces de Kaze, de se diriger vers le Nord du pays, lieu de la catastrophe nucléaire, lieu où Kaze a décidé de faire une escale. Dans le chapitre Un rêve à Fukushima, l’auteur décrit alors avec beaucoup d’empathie et d’humanité le sort des « nettoyeurs » :
« C’étaient eux qu’on envoyait à présent dans le Nord qu’ils avaient fui déblayer les routes, débarrasser les gravats, nettoyer les égouts inondés de Fukushima ou travailler à la maçonnerie de la centrale nucléaire pour une de ces entreprises de sous-traitance dont personne ne voulait rien savoir (…) Ceux qui travaillaient dans le périmètre d’exclusion de la centrale, on leur donnerait des combinaisons sur place, pas de badge dosimètre pour mesurer les radiations, pas de suivi médical. Ces hommes étaient sortis des statistiques qui permettent aux gens normaux de se sentir en sécurité ».
Le roman dénonce ainsi à sa manière l’exploitation outrancière des misères humaines et du désarroi des victimes au lendemain de la catastrophe. Il dénonce aussi la corruption des fonctionnaires et l’Etat japonais qui selon sa thèse sont de connivence avec les yakuza.
Les évaporés est un roman qui se laisse lire. Cependant le lecteur peut être gêné par les dénonciations de l’auteur qui sont parfois à la limite du risible. Les préjugés abondent. Certes la société japonaise n’échappe pas à la problématique de la misère et de la corruption qui se retrouve dans toutes les sociétés industrialisées. De plus, les descriptions de l’auteur sont de véritables caricatures à certains endroits. Les chapitres comme Private eye ou Souvenirs de la décennie perdue et enfin Analphabète sont truffés de commentaires faciles et sans profondeur pour un public connaisseur du Japon et de l’Asie.
En conclusion, le roman est parfois traversé par des éclairs de poésie et de sensibilité, mais hélas cela ne sauve pas l’ensemble de l’intrigue du caractère assez simpliste du récit.
Victoire Nguyen
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