Les étoiles s’éteignent à l’aube, Richard Wagamese (par Léon-Marc Levy)
Les étoiles s’éteignent à l’aube (Medicine Walk), Richard Wagamese, trad. anglais Christine Raguet, 308 pages, 7,50 €
Edition: 10/18Un titre français affligeant de banalité pour (mal) commencer ce roman. Medicine Walk – le titre original – est tellement meilleur.
Le (mauvais) père, le fils abandonné mais quand même aimant. Les retrouvailles à l’approche de la mort du père, malade et ravagé par l’alcoolisme. Le voyage à travers la nature sauvage – les esprits des ancêtres Indiens demandant que les vieux meurent à un endroit précis, sur une montagne. Le bilan (désespérant bien sûr) de la vie du père raconté au fils. Et – est-il besoin de le dire ? – la rédemption avant le dernier souffle.
Voilà.
Ce roman, plutôt bien écrit, aurait pu être un plutôt bon roman s’il n’y en avait pas cent vingt mille du même tabac. L’usine à livres américaine – depuis une bonne dizaine d’années – raconte presque toujours la même histoire père-fils-faute et rédemption, à l’envi, jusqu’à plus soif. Ajoutez-y quelques beaux paysages, quelques scènes de violence, une pointe de mysticisme et vous avez la recette du cocktail.
La seule originalité, à la rigueur, de ce roman-ci est d’être écrit par un auteur indien canadien Ojibwé d’origine, et de mettre en scène des personnages eux-mêmes (vaguement) indiens d’origine, qui ne se rappellent pratiquement rien quant à leurs racines si ce n’est, à l’agonie, quelque vieille superstition.
Tout au long, on sent le produit fabriqué, surfant sur la mode des identités primitives et sur celle des Nature Writers. La patte des professeurs de Creative Writing Schools est omniprésente, les scènes-clichés défilent comme les clients à la caisse d’un supermarché, le repas familial dans la maison des bois, les animaux sauvages dans la forêt, la douleur du vieux père et la tendresse retrouvée du garçon.
« Autour de lui, il entendait les bruits de la forêt, ses claquements et ses craquements, le bruissement des fougères entre lesquelles déguerpissaient de petites créatures, le froissement des feuilles et des branches où les oiseaux et les écureuils étaient affairés à leurs préparatifs du soir. Il ferma les yeux et s’appliqua à repousser les limites de la portée de son ouïe. Il perçut des choses au loin. Un orignal meuglait dans la vallée. Un ours grognait quelque part en bas de ce versant et là où il fendait la trouée, le vent faisait un son de scie. Puis il entendit les oiseaux. Il y avait une compagnie de grouses qui chassaient et picoraient au milieu des arbres ».
Des pages et des pages de bestiaire, d’herbiers, entrecoupées des lamentations du père et du chemin du fils vers le pardon.
Les Creative Writing Schools sont en train d’assassiner la littérature américaine. Leurs recettes sont éculées, visibles comme des grosses ficelles autour d’une caisse emballée. Les bons écrivains américains d’aujourd’hui se font rares et, hormis les maîtres comme McCarthy ou Auster, il faut chercher pour trouver ceux qui sont hors des sentiers battus, les Howard McCord, Lance Weller ou Laura Kasischke. De quand date le dernier grand roman américain ? Et depuis, on exploite la mine de James Fenimore Cooper, de Henry David Thoreau, de Jack London. Jusqu’au trop-plein.
Ce roman de Richard Wagamese vaut sûrement mieux que ce que je viens d’en écrire. Il n’est pas déplaisant, il se lit en linéaire, avec une vraie fluidité. Mais à quoi bon mon Dieu ? A quoi bon ?
Léon-Marc Levy
En activité depuis 1979, Richard Wagamese a exercé comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision, et est l’auteur de treize livres publiés en anglais par les principaux éditeurs du Canada anglophone. Wagamese appartient à la nation amérindienne ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario, et est devenu en 1991 le premier indigène canadien à gagner un prix de journalisme national. Depuis lors, il est régulièrement récompensé pour ses travaux journalistiques et littéraires. Il est notamment le lauréat du Prix national de réussite indigène pour les médias et les communications 2012, et du prix 2013 du Conseil canadien des arts. Il est mort en 2017.
VL2
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Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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