Les Ephémères (Mayflies), Andrew O’Hagan (par Guy Donikian)
Les Ephémères (Mayflies), Andrew O’Hagan, Métailié, août 2024, trad. anglais (Ecosse), Céline Schawller, 288 pages, 21,50 €
Edition: Métailié
Ce sont les années Thatcher qui constituent la toile de fond de ce roman. Andrew O’Hagan dépeint ces moments particulièrement durs pour la classe ouvrière qui, de grèves en difficultés pécuniaires, a connu des soumissions à l’ordre financier comme jamais. Le monde que l’auteur met en scène est celui des jeunes qui vivent un moment ingrat dont les perspectives relèvent du « no futur » que les punks éructèrent quelques années auparavant. C’est dire aussi que la musique est omniprésente, celle populaire, mais ô combien idoine pour cette époque.
C’est dans ce contexte des années 80 que l’auteur va faire naître et durer une amitié entre Tully Dawson et le narrateur. Tully Dawson est ce garçon fantasque d’une vingtaine d’années qui, en mal de repères familiaux, se tourne vers le cinéma, la musique, et le foot. Nous sommes en Écosse et la jeunesse se morfond dans le chômage et les difficultés qui vont avec, le fric, l’ennui au quotidien, l’alcool, la drogue, ce qui résonne comme une évidence mais ce qui, ici, est le socle d’une amitié qui va se sceller lors d’une virée à Manchester.
Manchester est alors la Mecque du punk rock, et le festival qui s’y déroule fait la part belle à cette musique qu’on écoute « à fond », tout comme la New Wave qui sévit durant ces années.
Tully et le narrateur font partie du groupe qui se rend à ce festival pour fêter la fin du lycée. Week-end mémorable, on boit beaucoup, on dort où on peut, on provoque aussi, et l’humour est toujours présent qui dit que tout passe vite et qu’il faut profiter…
« Tully le disciple, payant la pénalité que l’adulation inflige au respect de soi. Et quand nous aurons quitté ce monde, il restera des spores de plaisir, quelque part dans l’univers, rappelant le moment où Tully Dawson avait descendu les marches de l’hôtel Britannia pour se jeter à plat ventre sur le capot de la voiture des Smiths, son visage pressé contre le pare-brise exprimant une affection déformée. Il braillait et chantait, étreignant la voiture, les jambes écartées et ses chaussures de teddy-boy qui pendaient de chaque côté, son pantalon retroussé par ses mouvements révélant l’innocence placide d’une chaussette blanche ». La rencontre fortuite avec Morrissey, le chanteur des Smiths, groupe de Manchester, va marquer les esprits et va sceller un peu plus encore l’amitié qui lie les deux protagonistes.
Les facéties en tous genres auxquelles tous vont s’adonner, cette volonté de jouissance immédiate, la provoc aussi, sont autant de réponses à l’agressivité de l’époque, un refus des contingences et la volonté de se démarquer de l’exemple parental engoncé dans les difficultés à vivre tant professionnelles qu’existentielles. On se promet ainsi de perdurer dans la provoc, dans la résistance à l’ennui des routines, en écoutant les musiques adéquates et se rendant en tant que supporter aux matchs de foot.
Les Smiths, Les Clash, et plus loin, Lionel Ritchie, Les MC5, autant de groupes et musiciens qui peuplent le monde de Tully et de Noodles, surnom donné au narrateur par Tully Dawson. Les répliques de films sont aussi partie intégrante des dialogues qui se nouent entre tous ces fêtards. Tout ça, c’était l’été 1986.
Et on se retrouve à l’automne 2017, Noodles est écrivain et reçoit des nouvelles de Tully dont la santé est très préoccupante. Les nouvelles sont alarmantes et Tully, au nom de leur amitié de jeunesse, va demander à Noodles une aide qui va chambouler les esprits et remettre en perspective un rapport au monde et aux autres. Les questions existentielles sont finalement le propos essentiel du texte…
Guy Donikian
Andrew O’Hagan est né à Glasgow en 1968. Ses romans sont traduits dans plus de 15 pays. Les Éphémères a reçu de nombreux Prix et a été élu livre de l’année par de nombreux médias.
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