Les deux mages de Venise, Philippe André
Les deux mages de Venise, février 2015, 256 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): Philippe André Edition: Le Passeur
Cosima fan tutti
Richard Wagner et Franz Liszt étaient amis dans la vie et unis dans leur Art : la musique. Ils étaient aussi l’un et l’autre attirés par la gente féminine qui le leur rendit bien. Wagner poussa l’amitié jusqu’à entretenir une liaison avec la fille de Liszt, Cosima, avant de l’épouser.
Les deux mages de Venise est une fantaisie féérique dont l’action se déroule dans la cité des Doges pendant l’hiver 1883. Richard Wagner a fait créer son ultime opéra, Parsifal, en juillet 1882 à Bayreuth, et essoufflé, malade, vieillissant, il se laisse entraîner dans le labyrinthe vénitien par Franz Liszt venu passer quelques jours avec sa fille, son gendre et leurs enfants. Près de l’Arsenal ils découvrent une vieille galère échouée qui ferait un parfait petit théâtre. Et, coïncidence miraculeuse, dans une pièce juchée au sommet d’un vaste palais dont le toit de verre permet de voir tomber la neige, ils font la connaissance de John Milton.
Milton est un vieillard aveugle qui semble improviser une pièce de théâtre. Les deux compositeurs savourent sa déclamation, sorte de parlé chanté précurseur du Sprechgesang qu’Arnold Schönberg inventera plus de 20 ans plus tard et qu’il utilisera pour la première fois à la fin des Gurre-Lieder. Ils croisent aussi de belles femmes aux charmes desquelles ils ne sont pas insensibles, malgré leur âge avancé. Et des créatures chimériques à l’instar d’Olympia, la poupée à la voix d’or, automate qu’Offenbach a immortalisé dans les Contes d’Hoffmann. Spallanzani, son concepteur, a d’ailleurs multiplié les Olympia qui feront des spectatrices idéales dans ce théâtre improvisé où Milton interprétera son Paradis perdu.
Égaré au milieu de ses rêves dans une île de la lagune vénitienne, Wagner s’endort d’un sommeil agité que troublent les fantômes de ses opéras, de Notung (l’épée de Sigmund) au Walhalla et de Tristan à Parsifal. Tout ce qui se déroule dans Les deux mages de Venise est aussi débridé qu’impossible mais, qu’importe, le lecteur mélomane et wagnerophile s’y retrouve. Car Philippe André, comme tous les psychiatres, doit être un peu fou mais il connaît la musique et il ne manque pas d’imagination ! Son Liszt en soutane, avec ses longs cheveux et son profil aquilin (qu’il a transmis à sa fille) est plus vrai que nature.
Quant à Wagner, c’est lui qui tient la plume et qui s’adresse à Cosima son épouse. Il a toujours aimé l’Italie et, surtout, la Sérénissime où il a composé le deuxième acte de Tristan et Isolde entre août 1858 et mars 1859. Il lui raconte ses ultimes attirances, pour Luisa et Genziana Milton. Il décrit son beau-père avec ironie, épinglant sa propension à braquer « ses pavillons vers les pratiques musicales locales, les folklores et tziganeries de tous azimuts » lui qui a « toujours affectionné l’emprunt musical ». « Ton père se recueille. Il sait faire. Il a appris dans ses années de Rome à séduire pape et cardinaux avec ses mines ». Mais il ne manie pas que l’ironie et sait ce dont il est redevable. « Sans Liszt, peut-être que Wagner ne serait pas devenu Wagner ». Car le père de Cosima l’a nourri musicalement et matériellement. « Privé des bras de ton père je serais dix fois mort de faim ».
Liszt quitte Venise en janvier 1883. Wagner meurt le 13 février 1883 au palais Vendramin. Sa dernière œuvre n’est pas ce livre imaginaire, mais un essai, resté inachevé, sur ce qu’il y a de féminin dans l’homme.
Dans un roman baroque et irréel, Philippe André revisite l’univers de Wagner et, de Lohengrin à Parsifal, il nous dévoile 50 nuances de Graal.
Fabrice del Dingo
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