Les coups de griffe d’Alain Faurieux-4
Marchands de Sable, Agnès Mathieu-Daudé, Flammarion, août 2023, 336 pages, 21 €
Un point fort : la couverture (avec tampon « rentrée littéraire » inclus) qui illustre parfaitement l’artifice mal foutu du contenu. Un livre de rentrée ficelé comme un poulet de supermarché. Saga familiale étriquée, vision politique javélisée. Écrire sur le superficiel, l’artifice, le faux-semblant, quelqu’un aurait dû dire à Agnès Mathieu-Daudé que c’est difficile. N’est pas Françoise Sagan ou Bret Easton Ellis qui veut. Et là c’est plutôt le sauve-qui-peut. Un événement central (scandale politico-industriel étouffé dans l’œuf) qui n’intéresserait même pas un lanceur d’alerte savoyard, un événement secondaire (femme quitte mari, trouve raison de vivre hors fric) qui n’a pas intéressé ma coiffeuse, des péripéties de plage et des décors de syndicat d’initiative. « Écrire sur » est aussi prétendre : Ellis chantant les louanges de Phil Collins sur MTV pendant des pages, c’est un acte littéraire.
Mathieu-Daudé au musée c’est un pensum, une écriture vide, un système temporel – principalement le présent – censé (dé)montrer la course aux avantages sociaux, financiers, exposer au grand jour ce vilain monde des riches, hypocrites et vains. Effectivement ces phrases courtes, ce rythme poussant de l’avant, ces mots si souvent entendus, mettent tout au même niveau : le grand plat, l’ennui total. Nous nous ennuyons autant que l’héroïne, mais aucune échappatoire : les marchands de sable nous ont irrité les yeux et l’auteur nous irrite le goût.
Pas même agréable à lire. Prévisible et déjà délavé, nouveau et déjà vieux. A laisser partir avec la marée qui emportera ces créations éphémères au goût du jour.
Hitchcock s’est Trompé, Fenêtre sur Cour, Contre-enquête, Pierre Bayard, Les Éditions de Minuit, octobre 2023, 176 pages, 18 €
Un grand moment… d’ennui.
J’avais lu La Vérité sur Les Dix Petits Nègres, rebaptisé ici (pas du tout innocemment bien sûr) La Vérité sur Ils Étaient Dix, mignon petit exercice de style. Bayard croit avoir (non, A) trouvé la recette : un exposé salonnard et de bon ton sur une œuvre que chacun peut prétendre avoir lu/vu. Ceci chez un éditeur sérieux et précédé d’un pedigree (Prof. de littérature française, psychanalyste) tout aussi sérieux. LA recette nécessite de citer à tout-va auteurs et penseurs incontestés, de l’auto-référence aussi, tout un tas d’italiques, laisser négligemment échapper notions philosophiques et psychanalytiques, montrer grande maîtrise d’outils cinématographiques et langagiers, un style universitaire éprouvé (creux et poussiéreux). Mais attention, tomber dans le piège serait d’appliquer à Bayard la simili-grille d’analyse à laquelle il fait semblant de soumettre Hitchcock. Cela n’en vaut pas la peine. Pour que fonctionne l’intention affichée (semble-t-il) par l’auteur, le clin d’œil, l’humour, le second degré, la notion de piège-dans-le-piège, la connivence avec le lecteur, tout devrait participer à un plaisir de lecture et de (re) lecture(s)… et rien ne se trouve dans ces tristes pages. Ce volume exsangue est sûrement un exemple ; de quoi je ne sais pas trop : d’entrisme éditorialiste, d’entre-soi bourgeois, de parisianisme vieillissant, de pantouflard triomphant ?
A jeter.
P.S. Comble de l’ironie (involontaire ?), même LE fameux « vrai » meurtre, central au démontage de Fenêtre sur Cour, se révèle être un épouvantail à moineaux…
La Symphonie des monstres, Marc Levy, Robert Laffont/Versilio, octobre 2023, 400 pages, 21,90 €
Auteur incontournable, vendeur redoutable, Levy est présent dans les supermarchés, gares et cliniques. L’auteur Français le plus lu au monde se devait d’apparaître dans cette chronique. Je dois avouer avoir, au fil des années, commencé deux ou trois volumes et n’en avoir jamais fini aucun. J’ai même été vérifier sur le site officiel de l’auteur pour éviter une erreur, une œuvre lue mais attribuée à tort à un concurrent. Et j’ai lu La Symphonie des monstres jusqu’au bout, poussé par des convives de réveillon me clamant « non, c’est quand même pas mal Levy ! ».
Cette livraison annuelle (« d’après une histoire vraie ») possède donc des gentils et des méchants facilement identifiables, un lien fort avec l’actualité : l’opération spéciale de Poutine en Ukraine, un contexte vérifié par de soigneux stagiaires (toponymie, dates, noms, bref tous ces éléments dignes de notes soulignant leur véracité). Comment mieux montrer l’intérêt de la production en question que par trois extraits exemplaires ?
« Il y a quelques mois, Mme Jaruski pestait contre la réforme des menus scolaires qui avait causé bien des problèmes à la cantine, aujourd’hui elle peste contre les serviteurs de la haine et de l’oppression ». Et aussi : « Envahir un pays, bombarder des villes, décimer des populations entières pour servir la mégalomanie d’un dictateur déclinant ne leur suffisaient donc pas ? Il fallait maintenant qu’ils enlèvent des gamins ? C’était à cela qu’étaient réduits ces conquérants commandés par des généraux incapables, des mercenaires formant les bataillons d’une armée sans honneur ? ». Ou encore : « Il avance son fauteuil, elle fait un pas vers lui, ils se regardent, elle caresse son visage, il l’embrasse, elle l’embrasse à son tour, leurs lèvres s’effleurent, leurs langues se mêlent, ils s’aiment ».
C’est cela Levy : tout le monde peut le lire, pas de prise de position risquée (même s’il égratigne Valeurs Factuelles, le magazine allié de Poutine-le-méchant), pas de sexe, de violence, de vulgarité ou de religion. Des bisous, des ellipses, des… rien, quoi. Tout est tellement simplifié que l’objet même disparaît. Ce volume fait partie d’une série « des 9 », où des hackers combattent pour la liberté. Leurs prouesses se résument à s’asseoir et taper des lignes de code, rouler très vite (oops) en voiture, ou cacher des nounours capteurs de wi-fi (sic). La guerre fait des blessés, l’alcoolisme rend la figure rouge et les ami(e)s du dictateur sont plutôt pas sympas. Les relations hommes/femmes semblent perçues par un ou une ado pas très en avance et le personnage que l’on appellera principal par gentillesse est franchement vintage : un gamin surdoué de 9 ans, qui ne parle pas mais pourrait. Ouf ! Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous. Effectivement. Mais c’est tellement lent, prévisible, répétitif et quelconque que n’importe quoi attire votre attention dès la quinzième page : la pluie, le vent, une canalisation, une brusque rigidité de votre auriculaire droit. Vous vous mettez à espérer le son d’hélicoptères de combat, ou un accident sur le périphérique, une émeute peut être.
Le prochain Levy sera sans doute un combat des 9 contre les bassines agricoles, ou une mise en échec d’un attentat pendant les jeux olympiques. Il y a sûrement plusieurs marmites sur le feu en ce moment…
En attendant ce nouveau best-seller je vous conseille de relire les Bob Morane d’Henri Vernes (Intégrale chez Lefrancq). Au moins on s’amuse.
Alain Faurieux
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