Les chemins d’Escampette, Laurent Guillemot
Les chemins d’Escampette, janvier 2016, 220 p, 18 €
Ecrivain(s): Laurent Guillemot Edition: Editions de Fallois
Chemins d’escampette, voies de traverse qui permettent d’obliquer, volontairement ou non.
Les histoires commencent comme souvent dans les campagnes par un arrêt au café – cœur du village – d’où rayonnent souvenirs, on-dit et où des liens invisibles, indétectables se tissent, se filent, s’inventent, s’imaginent… et finissent par se faire vrais, à prendre épaisseur, consistance, à muer en contes de bonne femme. On doute, un petit verre, plusieurs petits verres aidant, on y adhère quand on ne finit pas par y croire, et même à s’y donner une place, à s’y trouver mêlé.
Histoires fabuleuses, débouchant souvent sur le merveilleux ou le fantastique, où l’on est pris pour un autre que – de – soi, où l’on passe pour un autre.
Tours de passe-passe, échanges malencontreux de corps, identités floues, parentés multiples, consanguinité :
« De toute façon, n’importe où, c’était mieux qu’ici.
Le curé avait fait tout ce qu’il est possible de faire quand on est brave et tolérant, et puis, à force d’entendre nos confessions il était devenu le plus pervers d’entre nous. Il avait fini par se pendre à l’une des branches du calvaire… » (p.74).
Les différences sont réduites pour ne pas détoner, le village est reculé, oublié, reclus, creuset de ces histoires sombres, sordides mais aussi merveilleuses, à endosser comme une seconde peau, émanantd’une autre vision des choses et débouchant souvent sur un retour au bon sens, comme une petite pirouette à la moralité.
La première histoire, La bouilloire, commence comme un conte : « Il y a des contes qui sont tellement merveilleux, que même les adultes se surprennent quelquefois à y croire » (p.7), mais le logis du génie – Ginette ! – est une vieille bouilloire. Pas de fantômes, les maisons ne sont pas hantées si ce n’est par des esprits domestiques, mais certaines sont hors des sentiers battus et révèlent de curieux secrets. Les morts assistent à leur propre enterrement :
« C’était un mort qu’on ne connaissait pas. Un beau mort bien propre dans son costume du dimanche, mais vraiment il ne nous disait rien.
Quel était le médecin suffisamment incompétent pour signer le permis d’inhumer un macchabée qui n’était pas moi ? » (p.37).
Une sirène d’eau douce amoureuse d’un forgeron sourd-muet et ventriloque, un veuf qui entreprend de s’envoyer des lettres d’amour émanant de son épouse morte et qui mourra en découvrant, par une maligne erreur de correspondance, n’avoir pas été le seul amour de sa vie : « (…) ma belle, ma jolie, je suis allé voir ce hêtre dont vous m’avez parlé. Je n’y ai pas retrouvé les souvenirs qui vous ont tant fait frémir et je me demande si vous ne confondez pas… » (p.61).
Toutes histoires qui, de temps en temps, lancent un clin d’œil à l’actualité, comme ces savants qui viennent chaque été au sommet de la montagne, observer. Cela intrigue, cela inquiète :
« Et puis un jour, on ne saurait dire pourquoi, on s’est douté que c’était la dernière fois qu’ils venaient.
On était une douzaine à garder nos troupeaux dans le coin et on a décidé de monter voir ce qu’ils faisaient » (p.119).
Dans L’autre rive à tout prix, on nous raconte l’accident de ballon d’un homme qui le fait naufrager sur une île coupée de la terre par un chenal trop long, trop profond et trop large pour lui permettre d’aller à la nage jusqu’au rivage.
« Ne disait-il pas, dans les dernières lignes, qu’il voyait le fond et qu’en travaillant toute la nuit, à la prochaine marée basse, il pourrait enfin atteindre l’autre rive ?
Derrière les dunes, il y avait le désert. Nous l’avons cherché pendant toute la journée, sans le trouver »(p.180).
Ces histoires et plus particulièrement cette histoire éclairante ne sont-elles pas celles – un peu folles et si justes – de l’homme ? Aller voir plus loin, ailleurs, de l’autre côté des choses, de lui, de la vie ?
Anne Morin
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