Les Cavales, I, Hervé Micolet (par Didier Ayres)
Les Cavales, I, Hervé Micolet, La rumeur libre éditions, mars 2023, 240 pages, 20 €
Profondeur
Qu’est-ce qu’une poésie de la profondeur ? est-ce un exercice raffiné jouant sur le degré de compréhension du lecteur ? ou une poésie qui fonctionne par des couches de langage qui figurent la profondeur d’un texte ? Je dirais au sujet du travail d’Hervé Micolet que les deux propositions sont pertinentes et non antagonistes. Nous sommes à la fois dans des textes ouvragés et travaillés en finesse (de l’espèce des pierres fines), et dans une condensation des faits, des idées et des événements qui affleurent de façon presque invisible sur la zone scripturale des poèmes. Nous sommes au beau milieu d’une question grave pour le poète.
Doit-on rester toujours perceptible ? ou avons-nous comme poète le droit moral à cette invisibilité, à un chevauchement des signes qui se débordent, pour alimenter le fond ambigu du poème ? Cette visibilité n’échappe pas au rédacteur, car l’acte poétique aborde le sens qui se trouve soit ambigu soit mystérieux, ou plutôt mystérieux et ambigu. Et la poésie de H. Micolet aborde cette problématique. Cette poésie exprime un état d’être tout en étant physiquement tributaire du vide. Et triompher de cette aporie conduit le lecteur. Le destine à l’Être.
[…] Hameau dans la pente
(5 maisons) qui par chemin couvert
au long du val peut villager, dont la ruine
est dans le bois taillis vite revenu.
Comment concrètement entre-t-on dans la part énigmatique de l’expression poétique ? Qui reflète le poète, sinon le poème lui-même ? C’est la question du style, si l’on s’accorde à dire que le style c’est l’homme. Poète confronté à une langue qui cherche l’archaïsme (Dante ?) qui nous pousse vers une profondeur presque brutale, où l’on repense aux écrits de Jean à Patmos – pour citer des textes-limites débordants et inégalés.
[…] Tous
sommes-nous à genoux
devant la Création-destruction perpétuelle,
qui se reprend comme à de nouveaux printemps
jusqu’au jour dernier au sort de son Cycle,
dans les chaînes de ses propres lois
sans cesser jamais de jouir.
L’esprit de l’apocalypse infuse le discours de cette espèce de prosopopée où le mort serait le poète, spirituellement sauvage, nourri par une somme littéraire proche du chantier (près de 250 pages pleines et imposantes) ; infuse dans un champ d’intellection difficile. Chantier qui remue sa langue jusqu’au potlatch, fond coalescent des différentes couleurs, sèmes, unité de langage archaïque (je l’ai déjà dit, mais je souligne encore cette perspective où la lecture se tient en éveil).
La beauté, s’agissant de l’humaine,
se dresse et nous intimide, voici
son trait le plus certain où elle est
consœur de Fureur, consœur de Tristesse,
et si elle fait ainsi au mépris d’elle-même
s’en allant de ce pas dans l’abîme,
c’est qu’on l’a outragée, elle
ou son genre prochain.
Opacité en un sens, poème mis au secret, apparition du bois d’œuvre aussi (ce chantier que j’évoque), représentation abstraite, proche des couches de peinture des toiles de Rebeyrolle et de leur effet, ou sinon, de l’action poétique des Drippings de Pollock – peintre que je préfère. Là, le sacré en une certaine mesure. Aller jusqu’à l’ésotérique, suivre le poème pour y trouver les preuves que cherche tout lecteur attentif.
Nous sommes, je crois, dans un chemin, un nœud, dans la complexité de trait d’un ruban de Möbius. Écriture alchimique, profondeur des engagements, poème rayonnant en sa nature à la fois sobre et débridée (le fameux chantier dont je parle), une ébullition, une langue nue pour finir.
Didier Ayres
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