Les 100 mots de la poésie, Jean-Michel Maulpoix
Les 100 mots de la poésie, coll. Que sais-je, mars 2018, 128 pages, 9 €
Ecrivain(s): Jean-Michel Maulpoix Edition: PUF
En expert de la poésie, du lyrisme contemporain, professeur de ces matières en Sorbonne, Jean-Michel Maulpoix (1952), poète reconnu (Une histoire de bleu, L’hirondelle rouge, dernier livre de poèmes doublement primé), se fend avec brio d’une étude sur la poésie, en cent mots choisis pour l’explorer de fond en comble, subjectivement, il va de soi, défendant ses poètes (Rimbaud, Mallarmé, Rilke, Michaux, Bonnefoy, Deguy…), s’en inspirant par des citations pour fouailler dans le corps vaste des poésies. À la vision longtemps univoque et classieuse de la poésie, comme si c’était un langage unique, une fois pour toutes bardé de symboles, de formes fixes et de médailles, il répond d’une investigation éclairant formes, tons, modes, écoles, modalités, langages, figures de style, ainsi que la réception – selon les époques et les mentalités – de ce travail « poiétique » « qui déborde de la page » tout en la cadrant d’une manière originale.
L’abécédaire proposé plaira autant au passionné du « genre » qu’à l’amateur, et le poète-essayiste Maulpoix ne se prive pas de certaines piqûres de rappel à celles et ceux qui auraient, par mégarde, oublié ce qu’on entend par sonnet, ou strophe, ou verset encore.
L’ouvrage a donc l’ambition de retraverser la poésie en se donnant comme consignes de mettre à plat tous les discours relatifs à ce genre, d’en déterminer la validité, d’en exprimer la complexité, sans, et c’est l’atout de cet ouvrage de haute vulgarisation (le principe de lacélèbre collection), verser dans un langage pour initiés. Didactique, l’essai veut l’être, pour remuer, côté lecteurs, les savoirs si longtemps engrangés à propos de la poésie, et en suggérer de nouveaux.
Mettre à bas des idées fausses : Longtemps la poésie fut en effet ce discours élevé, censé ramener vers le lieu céleste de la vérité… (p.52).
Revenir aux fondamentaux (les sacrosaintes définitions) : VERS Quels pourraient être les éléments constitutifs d’une définition du vers français ?
Il ne déborde pas de la ligne, sous peine de devenir un verset. À la différence de la prose qui marche tout droit, il s’organise en système d’allers-retours (versus a désigné le mouvement de retour à la charrue parvenue au bout du sillon qu’elle a creusé)… (p.120).
On est heureux de lire sous la plume de l’auteur des références peu citées, comme celle d’Ossip Mandelstam, pour qui le poète est étranger à l’homme de lettres, en ce qu’il est « seulement lié à un interlocuteur providentiel », preuve que la solitude est essentielle à la qualité de la parole du poète. La règle selon Maulpoix : Pour le poète, avancer vers le cœur de la solitude (p.106).
Si Queneau évoque « la chair chaude des mots », Apollinaire en fait un « chant » : Je chante la joie d’errer et le plaisir d’en mourir.
Toujours élevé le poète ? Toujours grandiose ? Non, c’est, pour reprendre les termes de Maulpoix, un chiffonnier, (qui fait) de l’or avec de la boue… un alchimiste en puissance… (qui) ne craint pas de se salir les mains en puisant dans le prosaïque et le trivial (p.23).
Le poète de « l’espace du dedans » (H. Michaux) se soumet à la « rêverie », prompte à ordonner le monde selon ses règles, ses formes, et il ne faut pas craindre parfois d’explorer des « obscurités », sachant, comme Caillois, que « La pénombre de l’âme humaine, voici le domaine de la poésie » (p.80).
La poésie, c’est, essentiel, une question de REGARD :
Regarder le monde avec des mots, ainsi pourrait se définir le travail de la poésie (p.94).
Et mot de la fin (dans le cadre de ce petit article, difficile d’évoquer l’ensemble des 100 mots), comment ne pas savourer cette neuve définition :
La poésie est alors (GENRE) cet art qui se trouve sans cesse conduit à poser lui-même en son cœur la question de sa propre définition. Aussi le poème devient-il le lieu d’une méditation sur la valeur et sur le sens de la tâche poétique (p.51).
Philippe Leuckx
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