Légère et court-vêtue, Antoine Jaquier
Légère et court-vêtue, avril 2017, 228 pages, 20 €
Ecrivain(s): Antoine Jaquier Edition: La Grande OurseLa légèreté apparente de certains textes a toutes les difficultés à celer la légitime ambition de leur auteur. Légère et court-vêtue n’échappe pas à ce propos, Antoine Jaquier a toute l’adresse requise pour y parvenir : une intrigue plutôt bien ficelée, des rebondissements qui intiment l’ordre au lecteur de poursuivre, et des situations inattendues qui ne laissent pas de surprendre, le tout servi par une écriture qui allie maîtrise et innovations. Mais s’il n’y avait que « cela », Légère et court-vêtue ressemblerait somme toute à tout autre ouvrage ; Antoine Jaquier sait utiliser son talent pour distiller quelques critiques de notre époque qui deviennent logiques et évidentes, des critiques qui ont toute leur place dans des dialogues souvent savoureux.
Mélodie travaille dans le milieu de la mode, elle vit à Lausanne, aime les chats et éprouve pour Tom, un photographe de mode, un amour inconditionnel ou presque. Elle subit pourtant les travers de son amant qui « l’oublie souvent », qui lui pose des lapins à l’occasion de différentes rencontres. Deux choses l’intéressent par-dessus tout : la photographie pour quoi il a une vraie passion, et le jeu, qui le met souvent sur la paille, au point de négliger les aspirations de Mélodie. Ainsi après une nuit passée au Casino, et alors qu’il a perdu, quand Mélodie lui demande s’il veut bien de faire un tour dans un club échangiste, il répond : « Tu fais chier, Mélodie, tu penses vraiment qu’à ça… ». Et la note de l’hôtel sera réglée par Mélodie puisqu’il a perdu au jeu…
Mais Mélodie a l’opportunité d’un voyage à Paris, qui devrait être d’une grande utilité pour sa promotion sociale. Et Tom doit s’occuper des chats, la litière, les croquettes… Sauf qu’il va en profiter pour voir Dardana, une jeune prostituée qui dépend d’un réseau d’Albanais. C’est tout d’abord une séance de photos au cours de laquelle l’idée de coucher avec elle sera supplantée par le profond désir de la shooter. « Dardana se déhanche sur le morceau Pitbull Terrier, elle place ses mains derrière sa nuque, coudes vers le haut, les yeux mi-clos. Elle ondule comme une reine de soirée. Je me précipite derrière l’objectif déjà sur un trépied et c’est parti. Dans le viseur, je la découvre d’une sensualité époustouflante. Elle danse comme seule au monde semblant oublier ma présence ». La séance sera mémorable, à partir de quoi les rencontres avec le milieu mafieux dont dépend la prostituée vont se multiplier et vont compliquer considérablement les rapports que Tom et Mélodie entretiennent.
De son côté, Mélodie va évoluer dans le milieu de la mode, et des rencontres vont se succéder qui lui permettront des amours lesbiennes, puis la rencontre avec l’un des mafieux qui, bien qu’appartenant à ce milieu, semble doté d’un humanisme paradoxal… en tout cas pour l’instant.
Si, une fois encore, l’intrigue tient ses promesses, Antoine Jaquier sait aussi la consteller de petites remarques attribuées à l’un comme à l’autre de ses protagonistes. « Le temps où l’on écoutait les personnes compétentes est révolu. En politique comme en art on est entré dans le temps de la meute connectée ». Ou encore quand Mélodie découvre la bibliothèque de Pauline : « Ce n’est pas mon univers mais je me sens bien dans cette pièce. L’impression que l’important est ici. Qu’un secret est précieusement conservé à l’intérieur de ces centaines de livres et que leur énergie bouillonne d’impatience, à l’abri des cons, comme dit Pauline ».
Antoine Jaquier nous donne à lire un texte résolument ancré dans son époque, où le plaisir lié aux libertés que chacun peut s’accorder dans ses amours côtoie la violence des hiérarchies et celle plus visible de l’appât du gain à tout prix.
Guy Donikian
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