Leçons sur la traduction, Franco Fortini (par Jean-Charles Vegliante)
Leçons sur la traduction, Franco Fortini, éditions Les Belles Lettres, octobre 2021, 155 pages, 25 €
Il est toujours délicat, pour qui connaît une œuvre étrangère, de rendre compte le plus « objectivement » possible de sa publication nouvelle dans notre langue. Publication (et traduction) dont avant tout l’on ne peut que se réjouir. Dans le cas présent, Fortini étant l’un des intellectuels, critiques, poètes, professeurs qui ont certainement compté dans l’Italie du XXème siècle, on salue d’abord cette seconde parution d’un de ses livres en France, et l’on attend toujours la réédition annoncée de ses poèmes.
Cet ouvrage est la version française, avec une Présentation de Julien Bal, des Lezioni sulla traduzione procurées chez Quodlibet (Macerata) par Maria Vittoria Tirinato, qui signait également une ample Introduction au titre intéressant (mais non explicité) Larvatus prodeo, en 2011. L’ouvrage comportait également un court Avant-dire de l’un des meilleurs éditeurs-connaisseurs de Fortini en Italie, Luca Lenzini, également coordonnateur du Centre Fortini de Sienne. Il possédait aussi un très utile Index des noms (p.223-31), que les éditeurs français auraient été bien inspirés de conserver, et quelques documents d’Archives de reproduction plus délicate.
Fortini, pas plus que Eco après lui, n’était sans doute pas un traductologue. Il a laissé cependant au moins deux concepts précieux pour qui s’intéresse à ce domaine, l’idée que la traduction est toujours un « essai de résistance des matériaux » de l’œuvre originale – d’où le grand intérêt de l’étude des textes traduits pour la critique littéraire tout court –, et que le texte ne vit que dans et par sa réception, d’où le refus de sacralisation d’une origine (perdue) et la valorisation des récritures, transformations, en un mot du « rifacimento » en langues-cultures irrémédiablement et heureusement autres. Ses essais fondamentaux, de ce point de vue, ainsi que Tirinato le rappelle bien, restent Traduzione e rifacimento (« Problemi » 1972) et Cinque paragrafi sul tradurre (1973), disponibles à présent dans ses Saggi ed epigrammi, Mondadori, 2003. Son rapport conflictuel avec la tradition de Croce, sur lequel insiste en revanche cette version française, a été bien sûr également déterminant.
Quelques compléments, donc, susceptibles d’enrichir la lecture de cet ouvrage dans son pays d’accueil – et dans la langue de destination dont il s’agit ici. Surtout pour rappeler que Fortini a fait aussi quelques apparitions dans le riche sous-bois des « grands » éditeurs que furent naguère les revues. Ainsi, des poèmes tardifs, alors inédits absolus, ont paru, avec une traduction du signataire de ces lignes, dans le n°265, 1988 des « Langues Néo-Latines » (p.49-57). Mais, concernant la réflexion traductive, Franco Fortini est à Paris en juin 1981, où il participe, entre autres, à une séance du séminaire d’italien contemporain à Paris 3 (groupe animé par Mario Fusco et notre futur CIRCE) ; il accepte de relire avec nous et de commenter une version en cours de sa Poesia delle rose. Un enregistrement verbatim de cet atelier est disponible à la Bibliothèque Universitaire de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, ainsi qu’auprès du Centre Fortini de Sienne, et Julien Bal (me semble-t-il) la connaît. Les rapports avec notre équipe se font alors plus étroits, et lorsque Fortini rend compte, dans le Corriere della Sera du 15 nov. 1987 des traductions de Dante par Jacqueline Risset et Lucienne Portier (il conclut par « Non tutti i centenari vengono per nuocere », étrange actualité en cette année 2021), il ne néglige pas non plus le rifacimento de mon Vers l’amont Dante, paru également en 1987 chez L’Alphée. Pour le lecteur français, quelques autres interventions de première main pouvaient encore être signalées, comme la Lettre qu’il nous envoie à propos de Parini en 1990 (les « L.N.L. » 272), ou cette Note sur Alfieri et Debenedetti dans la même revue encore, n°281, 1992… Nugae, dira-t-on, mais tant qu’à vouloir une édition un peu différente de celle parue en Italie, autant vaut, me semble-t-il, apporter quelques compléments dans la langue de destination : le français en l’occurrence ; et pour une collection joliment nommée « Traductologiques ». On appréciera, en revanche, le soin apporté au rendu parfois complexe des Notes de l’Auteur, jouant souvent sur l’italien traduit d’une autre langue, le tout devant rester lisible par un lecteur français. Il faut donc se réjouir, en conclusion, de la louable initiative prise là par Les Belles Lettres, et souhaiter – concernant le vaste corpus fortinien – que cela donne des idées, à présent que l’année dantienne s’achève, à d’autres courageuses maisons d’édition.
Jean-Charles Vegliante
- Vu: 1988