Le Zen dans l’Art de l’Ecriture, Ray Bradbury
Le Zen dans l’Art de l’Ecriture, Editions Antigone 14, novembre 2016, 208 pages, 16 €
Ecrivain(s): Ray Bradbury
Voici un ouvrage comme on en peut lire concernant l’art d’écrire et l’imagination créatrice. Ici, c’est Ray Bradbury, auteur de Fahrenheit 451 et des Chroniques martiennes qui nous livre avec beaucoup d’humour, d’énergie et de passion son rapport à l’écriture. Quelle excellente idée ont eu là les Editions Antigone 14 en publiant cet ensemble !
Si on y retrouve à peu près les mêmes conseils donnés par d’autres écrivains – on pense à Stephen King ou Rosa Montero (avec son livre La folle du logis) par exemple – c’est toujours un régal que d’entrer dans l’intimité d’un écrivain d’imagination, d’autant que Ray Bradbury n’a aucune retenue pour nous parler de sa vie et de son écriture qui sont intimement liées et nous donner ses conseils. « Vous devez bondir, installer votre plongeoir et sautez tête la première dans votre machine à écrire ». Une seule vérité commune et valable pour tous, nous recelons tous des trésors, enfouis au fond de nous, « vous êtes un puits profond alors reculez-vous et criez, faites-y résonner votre voix, et vous resterez ébahi par l’explosion de révélations que vous sentirez gronder en vous ».
L’écriture doit être explosion, indignation, excitation. Il faut écrire sur ce qu’on aime et sur ce qui nous met en colère. « Excitation et Enthousiasme », des maîtres mots.
Soyez des lézards, nous dit-il, bondissez, arrêtez-vous et immobilisez-vous ; et plus loin sont données quelques règles du même type : travail/relaxation/ne pas réfléchir…
Vous pourrez admirer mais ne vous comparez pas, vous seuls portez votre œuvre, unique. Ne vous laissez pas étouffer par les écrits de vos prédécesseurs, mais sachez les imiter au début de votre carrière. L’imitation est utile et même recommandée mais n’y perdez pas votre temps, la matière de vos histoires c’est vos vies. L’écriture n’est pas une thérapie mais elle est un remède. L’imagination nourrit les mystères rattachés à votre enfance, à vos secrets, découvrez le goût de l’obscurité. « Votre propre Chose vous attend, là-haut dans les recoins ombreux du grenier ». Et encore : « apprivoisez votre muse », la source de votre originalité se trouve dans « la globalité de votre expérience ».
Un écrivain doit se nourrir également de poésie. Bradbury y insiste : « Si nous voulons trouver à notre subconscient un régime qui lui convienne, quel menu préparer ? […] Lire de la poésie chaque jour de sa vie. La poésie est bonne pour la santé car elle fait travailler les muscles dont on ne se sert pas suffisamment. La poésie développe les sens et les maintient en condition optimale ». Peu importe quel type de poésie, lisez tout, picorez les essais aussi, promenez-vous dans les siècles. Nourrir sa muse, c’est en permanence se questionner sur ce qu’on aime et ne jamais douter ni se questionner sur le but, seul le voyage compte.
Dans l’ivresse de l’instant présent, et sans jamais savoir où l’on va, ni ce qui nous attend au prochain virage, entre terreur et euphorie, écrire, écrire, écrire.
Foisonnements d’idées, extravagance, jaillissements de mots, euphorie à se trouver empiégé par vos personnages qui vous tenaillent, vous réveillent au milieu de la nuit, « vos idées enfantent des créatures bestiales, elles veulent s’échapper, vous vous tournez et vous retournez dans votre lit… C’est une vie magnifique ! »
Au fil des pages de ce recueil d’essais, on entre dans l’élaboration de la plupart de ses nombreuses nouvelles ou romans, ou adaptations ou théâtre. Auteur prolifique et génial il dit « chaque histoire était un chemin qui me conduisait vers mes moi-mêmes ».
Il y questionne aussi la question de nos choix en littérature, pourquoi la fantasy n’est arrivée que tardivement jusqu’à l’adulte et comment ce sont les enfants qui nous y ont amenés.
Tout à la fois livre pratique pour l’écrivain débutant grâce à ses conseils bienveillants et encourageants, drôle, émouvant dans le détail qu’il donne sur la construction d’un grand nombre de récits, intelligent et chargé d’expérience, sage (d’où le zen), ce recueil d’essais s’achève sur un ensemble de poèmes tournés encore vers le conseil en écriture, et qui montrent l’amour de Bradbury pour la créativité littéraire, pour le monde de l’imagination, pour la vie, par et grâce aux mots et aux livres.
« Attrapez un pinceau. Prenez la pose. Faites des pirouettes. Dansez.
Faites la course. Essayez la poésie. Ecrivez une pièce.
Milton fait davantage qu’aucun dieu aviné
Pour justifier la quête de de l’Homme par lui-même.
Au cours de ses errances Melville se donne pour but
De découvrir quel masque se cache sous le masque.
Et dans ses homélies Emily D. dévoile
Toute l’indignité de la déviance humaine.
Shakespeare trempe de poison l’aiguillon de la Mort
Et fait du fossoyeur le serviteur de son art.
Et comme Poe prédisait des océans de sang,
D’ossements il fit une Arche résistant au déluge.
… »
Marie Josée Desvignes
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