Le Voyage de M. de Balzac à Turin, Max Genève
Le Voyage de M. de Balzac à Turin, février 2016, 218 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): Max Genève Edition: Serge Safran éditeur
Un voyage peut-il être l’occasion d’un répit ? Une séquence d’insouciance ?
On serait tenté spontanément de répondre par l’affirmative, à ceci près que le voyageur décrit par Max Genève dans son récit n’est autre qu’Honoré de Balzac, qui entreprend en juillet 1836 un voyage à Turin, car le duc Guidoboni-Visconti, membre éminent de la noblesse italienne, a proposé à Balzac de le représenter pour une affaire d’héritage. Les circonstances de ce déplacement sont très négatives et périlleuses pour l’écrivain. Il vient de publier Le Lys dans la vallée, mal reçu par la critique, et sort de la faillite retentissante de La Chronique de Paris, organe royaliste chargé de diffuser les idées légitimistes et orléanistes. Le journal est bientôt en dépôt de bilan et Balzac est ravi d’accepter cette proposition, qui lui permet provisoirement d’échapper aux créanciers, à l’épuisement créé par des heures et des heures d’écriture et de consommation de café à haute dose.
Une personne accompagne Balzac dans son déplacement vers le Piémont : il s’agit de Caroline Marbouty, abandonnée par son mari et qui, surtout, a écrit, sur commande de Balzac, dans La Chronique de Paris, une nouvelle, puis une deuxième, sous le pseudonyme de Marcel.
« Il la trouvait fine séduisante, lui avait proposé de l’emmener en Touraine où il comptait passer quelques jours. (…) Alors quoi ? Bien sûr, il avait son idée en l’emmenant à Turin. (…) Il trouverait bien le moyen de l’attirer dans ses rets, il fallait choisir le moment propice. Du reste, il n’était pas amoureux, ce qui faciliterait le chavirement espéré ».
Ce couple, atypique, part donc pour Turin, et Caroline se déguise en homme et se fera appeler Marcel, elle sera le page d’Honoré.
Dès son arrivée, Balzac rencontre des interlocuteurs prestigieux : les Visconti, bien sûr, mais aussi Salerano Sclopis, Luigi Colla, l’avoué, la marquise de Cortanze, la comtesse di Barolo, et bien d’autres… Toutes ces rencontres, ces conversations, réceptions mondaines, ces linéaments d’intrigues vont donner à Balzac et à son accompagnatrice l’occasion de se jauger, de se juger aussi, et c’est peu dire que le curseur évolue :
« A défaut de pouvoir la posséder, il eût aimé la coucher sur le papier. La chose n’est pas si simple, une femme ne se décrit pas, elle se vit. (…) Balzac avait le dos tourné, mais voyait dans le miroir s’activer sa compagne de voyage. Elle avait ce jour-là renoncé au page, réintégré sa féminité, s’était coiffée, maquillée avec soin et pour finir avait déposé une goutte de parfum à la naissance des seins ».
Lors de la visite du jardin des Colla, Caroline met en évidence ses connaissances en matière de jardinage, elle dévoile son sens de l’esthétique, ce qui fait suggérer à l’un des personnages présents, Federigo, de l’inclure comme personnage dans son prochain roman.
Comparée à certains passages à George Sand, Caroline Marbouty n’est pas seulement assimilable à une source de désirs et de sentiments pour Honoré de Balzac. Cette évocation de la femme de lettres berrichonne n’est peut-être pas due au hasard ; Max Genève l’a peinte, aussi, comme un possible avatar de l’émancipation féminine…
Un roman très plaisant, rempli de clins d’œil sur la vie de Balzac, le dix-neuvième siècle, la noblesse italienne. Il suggère plus qu’il n’affirme ; il décrit plus qu’il ne juge. C’est donner au lecteur une liberté appréciable dans son ressenti à la lecture.
Stéphane Bret
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