Le Versant noir, Kevin Gilbert
Le Versant noir, juin 2017, trad. anglais (Australie) Marie-Christine Masset, 256 pages, 20 €
Ecrivain(s): Kevin Gilbert Edition: Le Castor Astral
D’une Australie blanche, conquise sur les populations aborigènes en 1788 – qu’une odieuse fête de commémoration, deux siècles plus tard, rappela en grandes pompes –, il reste pour les Aborigènes quelques réserves, des missions, des lieux de misère pour tout dire, où, parqués, ils peuvent à loisir crever de faim, de saleté, d’injustice, de haine quotidienne à leur égard. Le poète Kevin Gilbert (1933-1993) chante tout cela dans des poèmes âpres, non vindicatifs, mais emplis d’une énergie qui vise à condamner l’état de fait et à espérer – oser espérer – un changement.
Le peuple noir, voulu par les colonisateurs, déchu, infirme et inférieur, a vécu, recourant à ses propres légendes, pour supporter le réel infligé.
Notre seul combat
Est de survivre
Nos tambours de guerre sont les fracas de la mort
Et le cri de douleur des mères (p.203).
Le poète consigne les lamentations légitimes, les cris devant la fatale ignorance par les forts de ce peuple fragilisé, affaibli de faim, sans ressources, contraint à résider dans des conditions épouvantables, taudis, baraques, faubourgs déjetés.
Les tentations de pactiser avec l’ennemi ou de se prostituer dans tous les sens du terme figurent parmi les actes les plus éhontés, ces « jaunes » livrent un « combat d’arrière-garde » et retardent la libération d’un peuple.
« notre maison » une pauvre cabane
Près de la rivière
Pas d’égouts, pas de travail, pas de salaire (p.197).
Alors, pour le Noir, fier de sa condition qu’il souhaite coûte que coute voir changée, refuser une médaille de l’empire britannique est un symbole d’insoumission, une victoire, si petite soit-elle, sur l’illégal occupant, sur ce colonisateur infâme.
Les poèmes, à l’adresse des Blancs, qui les invitent à devenir plus humains, plus tolérants, plus frères, résonnent comme des appels d’air dans un état qu’asphyxient les douleurs de toutes sortes : scènes de soulographie ordinaire, d’enfants nés dans des misères incroyables, d’arrestations arbitraires et de fins policières sanglantes. Le trauma de 1788 et toutes ses conséquences territoriales, communautaires traversent le beau livre comme un ressaut d’indépendance requise, sans jamais tomber dans l’esprit de revanche ou la polémique vaine.
Le titre, alors, peut se lire comme l’expression la plus haute d’une voie à prendre par le lecteur, comme par le peuple à élever, comme par le Blanc apte à saisir le temps des mutations, adopter le « versant noir » de la vie, d’un pays, tissé de sang, de négritude et d’énergie à les dire.
Philippe Leuckx
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