Identification

Le tour du cadran, Leo Perutz

Ecrit par Zoe Tisset 23.04.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Langue allemande, Roman, Titres (Christian Bourgois)

Le tour du cadran, traduit de l’allemand par Jean-Jacques Pollet, 19 avril 2012, 248 p. 7 €

Ecrivain(s): Leo Perutz Edition: Titres (Christian Bourgois)

Le tour du cadran, Leo Perutz

 

Ce livre n’est pas un policier au sens classique du terme. On est dans le corps et surtout dans cette respiration haletante de Stanislas Demba qui déambule dans Vienne les mains menottées. Etudiant, il a subtilisé des livres à la bibliothèque et s’est fait pendre en voulant les revendre. Il a échappé à la police mais garde les mains liées. Le livre ne cesse d’explorer la symbolique résultant de cette situation : des mains menottées qui doivent rester cachées mais dont on ne peut se séparer. Perutz s’amuse sur le propre et le figuré des expressions. « Vous savez, cher baron, lui ai-je répondu, je suis tenu par le secret professionnel ! J’ai les mains liées, mais… Stanislas Demba s’arrêta, fronça les sourcils et dévisagea son compagnon :

– Que dites-vous là ? Les mains liées ?

– Oui. Parce que évidemment…

– Vous avez donc les mains liées. Cela doit être gênant ?

– Qu’entendez-vous par là ?

– Je dis que cela doit être gênant, répondit Demba avec un sourire ironique, les mains liées ! J’imagine que l’on a le bout des doigts qui commence à gonfler, à cause de la circulation, comme s’ils allaient éclater, et que la douleur vous lance jusque dans l’épaule…

– Que dites-vous ? »

Chaque chapitre se passe dans un endroit différent et place Stanislas Demba dans une situation toujours périlleuse et parfois cocasse. Ainsi dans le chapitre 7, Stanislas Demba rentre dans une brasserie et afin de pouvoir manger à l’abri des regards demande au serveur tour à tour annuaires, encyclopédies et revues jusqu’à ce que les livres forment un rempart contre les curieux. Mais ce manège intrigue les autres clients qui discutent pour savoir si Stanislas Demba est un journaliste ou un prestigieux chercheur. Chacun essaye de deviner ce qu’il écrit. Pendant ce temps Stanislas Demba déguste un repas avec les mains liées.

Mais Demba est un fugitif, menotté de plus. « (…) vois-tu avec ces menottes aux mains, je suis comme à l’écart du monde ! Tout seul contre des millions d’autres gens. Qui jette un coup d’œil sur mes mains enchaînées devient à l’instant même mon ennemi, et moi le sien, même si c’est l’homme le plus pacifique qui soit ».

Demba nous offre un regard presque extérieur et très ironique sur la société viennoise. Tel dans le chapitre 15 où Perutz nous introduit dans un cercle de jeux (de dominos !) où chacun derrière des apparences sociales affables s’adonne aux vices.

Il y a un rythme et un suspens dans ce livre qui le rapproche du genre policier mais parfois le ton est presque celui d’un vaudeville. Les heures tournent, Stanislas Demba doit à la fois trouver de l’argent pour « récupérer » sa petite amie, mais aussi parvenir à une solution pour se débarrasser de ces menottes qui semblent à la fois le gêner mais aussi être un « révélateur » (paradoxe) pour lui-même et les autres. Un peu à la manière de l’anneau de Gygés, ces menottes interrogent sur l’essence de la vérité et rappellent toute l’hypocrisie des rapports humains et des lois de bienséances. La fin est inattendue à la hauteur de la complexité humaine.

 

Zoe Tisset


  • Vu : 4797

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Leo Perutz

 

Léo Perutz, né à Prague en 1882, est issu d’une famille d’ascendance juive espagnole établie depuis au moins 1730 dans la ville de Rakovnik. La famille de confession juive s’avère essentiellement laïque. Il s’installe à Vienne à dix-sept ans. Avant d’écrire, il étudie les mathèmatiques. A partir de 1915, il publie une douzaine de romans avec un succès grandissant. En 1933, La neige de Saint Pierre est immédiatement interdit par les nazis an Allemagne. En 1938, suite à l’annexion de l’Autriche, il s’exile à Tel-Aviv où il n’écrira plus jusqu’en 1953, date à laquelle il publie son dernier roman, La nuit sous le pont de pierre. Il meurt en Autriche en 1957.

 

A propos du rédacteur

Zoe Tisset

Rédactrice régulière.