Le Temps suivi de Notre-Dame, William Cliff (par Philippe Leuckx)
Le Temps suivi de Notre-Dame, mars 2020, 128p., 15€.
Ecrivain(s): William Cliff Edition: La Table Ronde
Ce seizième livre de poèmes (un sixième chez l’éditeur parisien) prend le « temps » comme sujet, comme « matière » ouverte, et sert une sorte de fil rouge qui mène en amont à Autobiographie ou à Journal d’un innocent, puisque le poème a pour projet d’évoquer ce « temps » de soi, au fil de très longs poèmes descriptifs, narratifs, dédiés à la jeunesse, passée à Louvain l’Ancienne, à quelques voyages (le poète est un hardi promeneur), à des rencontres, à des amours, à de pauvres résidences, si peu meublées, si peu coûteuses, bien inconfortables pour y loger patience et écriture.
Et pourtant, de là sont nés ces textes, largement autobiographiques, âprement personnels par leur diction, très syntaxique, leurs supports (alexandrins, dizains…) classiques, leur langue (ne rechignant guère à proposer archaïsmes, orthographe médiévale et autres néologismes) fidèle à la pure tradition des Villon et Verlaine.
Cliff relate ainsi ce métier difficile de professeur de français, se blâme de l’avoir pratiqué sans grande conviction parfois, mais de là sont venus ces poèmes lucides, francs, un peu tristounets, pleins d’alarmes et de doutes, vécus de l’intérieur et tout de même de promesses peu visibles :
J’ai continué mon métier de professeur,
je devais parfois me lever très tôt matin
et à la gare avec maint autre navetteur
courir et m’enfourner dans un lugubre train.
(…)
Alors les élèves doucement élevaient
les regards vers mon corps en train de réciter
et semblaient me prier de n’arrêter jamais
de les bercer au son, au rythme répété
(pp.38-39)
Les poèmes du « charbon » (ressource belge alors) nous plongent dans l’univers des « kots » (chambres estudiantines à Leuven et ailleurs), des maigres ressources, des conforts dérisoires :
Mais nous à Louvain pour nous laver nous faisions
chauffer l’eau dans une bouilloire sur le poêle,
et puis à la cuisine nous nous retirions
après avoir versé l’eau dans une bassine
afin d’y faire ainsi notre toilette intime.
(p.65)
Les lieux inspirent notre poète et il n’est pas un Paris, Gheel (ville des fous), Kars, Dijon, sans être au plus près, grâce au poème, des pérégrinations solitaires d’un marcheur féru en l’art de dire le plus ordinaire, du manque à la ferveur, sachant que le poème retourne à la mémoire, la nourrit et ouvre plus loin, vers l’intime reconnaissance.
De tous ces textes émerge une volonté de vivre, même en plein dénuement, de construire, patiemment, grâce au poème, le long ruban de soi, avec la force nue, crue des images et des lieux. Un goût de désespérance, et tout à la fois de croyance en demain, innerve ces poésies, et le beau « Requiem » qui clôture le temps ressasse, s’il le fallait, les matières, en vingt-quatre dizains, ce long « thrène » (le vocable revient plus d’une fois dans la forme qui le cite) : « où est le vin qu’on boit pour le prodige », « et voici une main gantée de blanc », « et à présent disparu de la terre,/ je voudrais peut-être te célébrer/ sans reconnaître pourtant la misère/ qui t’a fait dévoyer sur ton erre et »…
Un hommage à Notre-Dame, datant de 1996, clôt ce livre, qui sonde la solitude d’un être en quête sans cesse de « la poitrine d’un père », d’un refuge, d’une vie qui puisse se dire, sans les apprêts de la convention ni de la sacro-sainte élégance aisément partagée.
Le relief de la vie traverse ces beautés.
Philippe Leuckx
William Cliff (né en 1940, de son vrai nom André Imberechts) est l’auteur belge d’une vingtaine de livres. Essentiellement poète, et parmi les plus grands de notre littérature, avec Izoard, Schmitz, Falaise, Vandenschrick, Lambersy, Noullez, il a entre autres publié : America ; En Orient ; Fête nationale ; Matières fermées ; etc. Détenteur de nombreux prix (Académie française, triennal, etc.).
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