Le temps appris, Patrick Devaux (par Parme Ceriset)
Le temps appris, Patrick Devaux, mai 2021, 67 pages, 16 €
Edition: Le Coudrier
Le temps appris, recueil de poésie de Patrick Devaux, illustré par de magnifiques aquarelles de Catherine Berael, est une immersion poétique au cœur du thème du souvenir, des mots adressés aux disparus. Au-delà de l’absence, du temps écoulé, le poète a la conviction qu’il demeure quelque chose des aimés, de l’amie disparue devenue « ange » : « Il est tard / mais je la sais / vivante / entre les mots du sommeil ».
Dans la continuité de Rimbaud et de sa célèbre « mer allée avec le soleil », le ciel et les oiseaux offrent à l’auteur une porte d’accès vers l’éternité. Au souvenir de la mystérieuse défunte, il dédie « des milliers de mots que jamais elle n’aura lus ».
Il y a également, en toile de fond, une réflexion philosophique passionnante sur le temps qui passe. Le temps est cet ennemi, cet assassin insidieux contre lequel nul ne peut lutter : « L’abeille /à / la fenêtre / ne sait rien /du / temps appris / qui /malgré / sa transparence / va /lui briser les ailes ». Le poète s’interroge sur la toute-puissance du temps qui a malheureusement le pouvoir de tout détruire : « Le temps / n’a pas bien / compris / des dieux /les ailes / qu’il avait / reçues ».
Et cette malédiction de la condition humaine est source de douleur et de souffrance : « je suis / rentré / précipitamment / de / ta mort / il ne pleuvait / pas assez / pour que / j’en mesure / toutes les larmes ».
On lit aussi ces vers bouleversants : « J’ai / en moi / ce long cri / appris / avec un doigt / sur la bouche ».
Le deuil est appréhendé avec la plus extrême lucidité : « à l’instant / des / pertes / il n’existe / jamais /aucune /monnaie/ d’échange / possible / sauf de rappeler / le premier / regard / échangé ».
Le poète prend acte de cette réalité qui nous menace tous : « Le temps nous est compté ». Il choisit de lutter par l’écriture et la création, de « défier l’infini dans l’acte d’écrire ». Mais sur le chemin de la cicatrisation, de l’acceptation et de la résilience, c’est comme si la souffrance persistait encore, resurgissait lorsqu’on se croit guéri, au moment où l’on n’y pense plus : « le temps appris / a la mémoire courte / arcs et flèches / sous-marin nucléaire / missiles intercontinentaux ».
La magie des réminiscences permet, comme dans Proust, de ressusciter le temps perdu. D’une certaine façon, les disparus sont ainsi immortalisés : « Il y a / tant / de /regards reconnus /dans / les aurores ». On peut récréer leur présence par la contemplation de la nature : « chaque matin /elle emprunte /l’aile/ d’un oiseau/ pour/parapher/le ciel », et par une vision poétique du réel : « la nuit / c’est /toi / le cil / du / monde / penché / sur un livre / ».
Le poète tire de cet apprentissage, de ces épreuves riches d’enseignement, des réflexions sur l’existence : « C’est / si / court / une vie / que / Dieu lui-même / n’en a pas voulu / gardant pour lui seul / cette encombrante éternité ».
« Qu’importe / la durée/ de / vie si jamais / elle n’a ressenti / la famine/ d’un cœur ».
En somme, un magnifique voyage initiatique à travers le temps et l’espace où la poésie permet de ressusciter l’amie disparue :
« Quand / dans / mon / jardin / de mots / je laisse / tomber / une rose / je sais / que / quelqu’un / la ramassera / jamais / je ne me retourne / je sais / que / c’est / toi ».
Preuve est ainsi donnée de l’immense pouvoir de l’Art, ce royaume mystérieux dont « parlent les poètes / quand / ils crient / famine/ aux dieux / qui / chutent / dans leurs mots ».
Ce livre est une pépite d’humanité.
Parme Ceriset
Patrick Devaux est né en Belgique sur la frontière avec la France, habite Rixensart, auteur d’une trentaine d’ouvrages auprès d’éditeurs divers en poésie, quelques prix d’édition, 3 romans parus dont 2 aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune ; 2 recueils de poésie récents (2016 et 2017) parus aux éditions Le Coudrier ; membre de l’AEB (Association des Ecrivains Belges) et de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie), il a aussi de nombreux contacts en France ; il anime une rubrique « Mes lectures » sur le site de la revue Vocatif www.moniqueannemarta.fr de Nice depuis 2013 et fréquente de près ou de loin les écrivains du groupe de l’Ecritoire d’Estieugues de Cours-la-Ville et de l’Association LITTERALES de Brest ; publie aussi dans diverses revues de poésie. Fréquente aussi les réseaux sociaux, faisant ainsi connaître la poésie d’auteurs moins connus ou disparus.
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