Le salut viendra de la mer, Chrìstos Ikonòmou
Le salut viendra de la mer, avril 2017, trad. grec Michel Volkovitch, 190 pages, 20 €
Ecrivain(s): Christos Ikonòmou Edition: Quidam Editeur(…) Et tu vas me dire c’est quoi ces histoires que tu me sors là, ces mains blanches et ces bouches noires, mais je te l’ai dit dès le début, je te dirai tout, je me souviens de tout, je me souviens de ce qui est arrivé de ce qui n’est pas arrivé de ce qui aurait pu arriver de ce qui aurait dû arriver, je me souviens de tout, et que ça te plaise ou non je dirai tout.
Ils sont venus de Grèce, tout simplement. Ils se sont réfugiés sur une île. Une île où d’autres vivaient. Ils sont devenus les autres des autres. Les îles ne sont pas des paradis et l’on y survit pas mieux qu’ailleurs. Fermées sur elles-mêmes, elles laissent peu ou pas d’échappatoire. Peur haine et violence en font vite des enfers, des lieux où l’on peut se perdre, entre vie et mort.
Quatre récits nous sont donnés à entendre, quatre voix qui résonnent entre les falaises, la mer et une grotte. Entre menace prophétique, ironie cynique, lamentation funèbre et espoir têtu, quatre voix nous saisissent, nous giflent, nous bousculent sans aucun ménagement, nous décillent le regard et nous font entendre l’inaudible et l’inouï. Sous le ciel bleu et les blanches maisons des dépliants pour touristes, il y a la nuit qui est en chacun et qui nous envahit tous. Une nuit où résonnent les appels et les errements, privés d’échos, si ce n’est dans la violence du soleil et l’égarement de l’alcool.
Un affrontement lors d’une fête, des armes qui se dressent, l’humiliation absurde de la honte et Tassos disparaît dans la grotte. Disparaît. Cloué sur son fauteuil, Chronís suit sa philosophie vagabonde, ses souvenirs épars, cherchant à rassembler encore une fois quelques forces pour remettre un peu d’ordre dans le monde. Ou simplement à côté de chez lui.
Le vieux Lázaros écoute la terre, obstinément. Collé au sol, il cherche un écho à ses appels. Mais la terre ne renvoie aucune réponse de son fils disparu. Mais peut-être ne s’est-il pas perdu, lui aussi, dans la grotte. Peut-être est-il vain de guetter les échos de galeries souterraines et inconnues. C’est cela. Il reviendra par la mer. Tel Ulysse. Pèèètroooos ! Petrááákis ! Cela ne peut-être autrement. Lázaros pourra bientôt serrer son fils dans ses bras. Il ne peut en être autrement puisqu’il n’a même pas de mot pour dire cela :
Si ton père est mort tu es orphelin. Si ta femme est morte tu es veuf. Si ton enfant est mort tu es quoi ?
Ce si là est le seul qui me fait peur.
Si ton enfant est mort tu es quoi ?
Si ton enfant.
Tu es quoi ?
Heureusement, il y a encore des fous pour y croire et continuer de vivre malgré tout. Contre tout. Des fous qui choisissent d’ignorer ceux qui interdisent les rêves en prétendant savoir la vie. Ces fous qui croient, au risque que nul ne croit en eux et en leurs rêves, qu’il n’est pas inutile de faire voler des cerfs-volants, et surtout de les libérer. Car au bout du compte, s’il y a de la misère, du désespoir, il y a aussi de la vie. Simplement.
Tu sais, a-t-elle dit, il n’y a aucun secret. La vie veut vivre. Voilà tout. Aucun secret.
S’il y a quelque chose du poète, du prophète, du philosophe et du moraliste chez Christòs Ikonòmou, il y a surtout une parole et une voix puissante, qui nous saisissent et nous secouent jusqu’à nous forcer à entendre. Une voix qui fait jouer pleinement la langue, jusque dans ses brisures, ses ressassements et ses impasses. Cette voix s’était déjà fortement imposée à nous avec Ça va aller, tu vas voir, elle s’élève ici avec encore plus de force, balayant tout sur son passage pour nous entraîner dans une de ces lectures dont on se souvient, qui dessinent un avant et un après dans une vie de lecteur car elle ont le pouvoir de changer notre perception du monde, et donc un peu nous-mêmes.
Après je ne me souviens pas. En fait je me souviens mais je ne veux pas raconter. Puisque je te l’ai dit, je me souviens de tout. De ce qui est arrivé de ce qui n’est pas arrivé de ce qui aurait dû arriver. Je me souviens de tout, de tout. Mais je suis fatigué. Je suis fatigué de parler, de me souvenir.
Et puis, j’ai un peu froid.
On gèle ce soir.
C’est quelle heure ?
PS : N’oublions pas deux choses très importantes ! 1°) : Un immense merci à l’éditeur, Pascal Arnaud, et au traducteur, le précieux Michel Volkovitch, de nous permettre de découvrir de tels textes. 2°) : Le traducteur nous précise en postface que ce titre est le premier d’une trilogie à venir !…
Marc Ossorguine
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