Le rire de Sade, Marie-Paule Farina (par Jean-François Mézil)
Le rire de Sade, Marie-Paule Farina, L’Harmattan, 2019, 258 pages, 25 €
On me pardonnera, j’espère, de chroniquer ce livre alors que je ne suis qu’un piètre lecteur de Sade. J’en avais depuis longtemps du remords et l’ouvrage de Marie-Paule Farina n’a fait que le renforcer. C’est donc un livre qui, entre autres mérites, a celui d’inciter à (re-)découvrir l’œuvre du « divin marquis ».
On y suit les pérégrinations de l’écrivain qui a elles seules valent un roman. Ses allers et venues en prison. Ses lectures. Sa correspondance. Un essai à la fois très étayé et vivant. Jamais on ne s’ennuie. Amateur éclairé ou non de l’œuvre de Sade, nous sommes tous concernés par la « sadothérapie joyeuse » qui nous est proposée. À tous, elle est bénéfique et, a priori, sans effets secondaires.
Bénéfique et facile à prendre, car Marie-Paule Farina enrobe son essai de douceurs à l’instar de Sade qui, pour mieux faire passer la pilule de sa philosophie, l’enrobait de « sucreries romanesques » et enduisait « les bords de la coupe d’un miel doux et doré », comme on le fait pour faire avaler aux enfants une potion amère.
Sade n’écrivait-il pas à sa femme : « Les choses les plus monotones peuvent s’écrire gaiement ».
Et de gaîté, j’en ai trouvé, notamment dans les piques savoureuses et fondées à l’encontre du sieur Onfray qui m’ont, je l’avoue, ravi de plaisir.
Au fil de cet essai, c’est principalement en prison que l’on retrouve Sade. Il y demande des livres : livres sérieux, livres d’histoire, livres instructifs, qu’il appelle « de première lecture » et qu’il lit dans la journée ; romans, livres d’anecdotes, contes qui sont ses livres « de seconde lecture » et qu’il réserve pour le soir.
Des livres, oui, mais des livres de libraires, pas des « livres de quais » qui ont traîné on ne sait où et qu’il doit soumettre à « une frotterie » et asperger d’eau de Cologne avant de les toucher.
Et surtout pas de livres de M. Restif qui fait partie « des polissons qui nous inondent [de] méprisables brochures ». Des « moitié d’idées », des auteurs manquant « d’esprit » et « d’estomac », voilà ce dont il veut se démarquer. Notre écrivain, on le voit, a la plume acérée.
Que de mystères aussi autour de cet homme ! Certains manuscrits sont perdus, d’autres, repris, recopiés, ont plusieurs versions difficiles à démêler. Jusqu’à l’ordre de ses prénoms qui n’est pas clair et lui vaudra quelques désagréments. À Vincennes au moins c’est plus simple : il se fait appeler Monsieur le 6. Mais il lui faut de nouveau changer de nom, une fois transféré à la Bastille.
L’état de confiné étant le lot de l’écrivain, son ordinaire, Sade poursuit son œuvre derrière les barreaux. Histoire, théâtre, roman, nouvelle, conte, il touche à tout, emporté par ce qu’il appellera, à la fin de sa vie, « l’incroyable penchant que j’avais pour écrire ».
Écrire, oui, mais pas n’importe quoi ni n’importe comment. Dans un essai intitulé Idée sur les romans, il recommande de bien dire (« on n’a jamais le droit de mal dire, quand on peut dire ce que l’on veut ») et de ne pas écrire « ce que tout le monde sait », sinon autant faire des « souliers » que des livres.
En nous parlant du Divin marquis, cet essai nous fait découvrir son époque, ou plutôt ses époques, car il a traversé la monarchie, la Révolution, le Consulat et l’Empire, autant de régimes qui ont eu en commun de l’emprisonner. Sur les soixante-quatorze années de sa vie, il en passera vingt-sept en prison ou en asile.
Marie-Paule Farina dépoussière, analyse ; elle clarifie, explicite, et nous interroge : « Pourquoi nos féministes ont-elles peur de Sade ? Qui a rendu un plus bel hommage à tout l’éventail des capacités féminines ? ».
Les férus de l’œuvre de Sade se régaleront, je n’en doute pas, à lire cet essai riche d’érudition. Mais comme il est toujours enlevé, toujours joyeusement mené, les ignares comme moi y trouveront également du plaisir et seront enclins, après en avoir achevé la lecture, à se précipiter sur l’œuvre de Sade pour compléter et parfaire leur cure de sadothérapie.
Jean-François Mézil
La philosophe Marie-Paule Farina ausculte les écrits de Sade depuis les années 1980. À ce titre, elle a publié en 2012, Comprendre Sade (éditions Max Milo) et en 2016, Sade et ses femmes, Correspondance et journal (éditions François Bourin). Elle a participé au film de Marlies Demeulandre, Sade, monstre des lumières, diffusé par LCI le 13 décembre 2014 dans le cadre de la grande exposition homonyme (source : L’Harmattan, quatrième de couverture).
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