Le Ring du Poète, Ramiro Oviedo (par Murielle Compère-Demarcy)
Le Ring du Poète, Ramiro Oviedo, Éditions La Chouette Imprévue, Coll. Meteor, juin 2021, 92 pages, 12 €
Et si la vie du poète était un combat sur le ring avec ses gants de boxe s’armant aujourd’hui contre « la Bestia Covid » comme l’appelle le poète Ramiro Oviedo, et que son uppercut extrême ne serait pas celui « qu’on essaye d’esquiver » mais celui lancé direct par ses « mots comme des bras musclés », par ses poings chauffés par la main résistante de la poésie ? Le « boxeur-poète » met sans coup férir « son grain de rage / sur le ring et dans la vie » dans cet opus de combat pour la PoéVie publié aux éditions de La Chouette Imprévue, maison d’édition associative des forêts livresques de Picardie. Ça cogne, ça percute, ça « up-percute » ! « Approchez, approchez, ici ça va saigner ! », nous avertit d’entrée « l’annonceur du ring ». Rappelons que cet opus a été initialement l’objet d’une performance où l’annonceur du ring présentait le boxeur et où à chaque son de cloche il lui posait une question. « Les douze rounds intenses, aux coups inépuisables, contiennent les réponses ».
André Spire écrivit un essai intitulé Plaisir poétique et plaisir musculaire ; Arthur Cravan, auteur helvético-britannique de langue française considéré par les dadaïstes et les surréalistes comme un des précurseurs de leurs mouvements, fut à la fois boxeur et poète ; « par une langue faite main, sans corset / rouge sang à la place du rouge à lèvres », le poète contemporain franco-équatorien Ramiro Oviedo, dont l’œuvre est publiquement reconnue dans son pays d’origine et à l’international, pratique la poésie comme un sport de combat, « la seule voie, affirme-t-il, où l’on se mouille avec le drame et la gravité de la vie ». Mais aucune comparaison ne pourrait tenir pour situer notre poète qui n’en voudrait pas, debout seul farouchement indépendant sur sa ligne de front qui n’est pas imaginaire, lui qui a traversé les affres d’une réalité politique où l’Homme peut être bafoué, écarté de sa dignité. Au 7ème round, le lanceur du ring lui pose la question de savoir « Qui sont les boxeurs-poètes qui t’en ont mis plein la tête ? ». Oviedo répond sans prendre de gants sauf ceux d’un boxeur :
Ils sont innombrables mais je vais me centrer sur trois
À la fin du round
Trois qui étaient deux cents sur le chemin
et dont la traçabilité est simple à repérer
Ils viennent tous de la même souche
Celle qui dit Non Monsieur
Ramiro Oviedo est passé par la pesée avant de monter sur le ring : la pesée du boxeur, qu’elle soit celle du poids-plume de poids moyen ou lourd ; la pesée de l’âme davantage ici substrat que supplément, viscérale indomptable ; la pesée de qui pèse ses mots et les projette au bon endroit – de qui sait recevoir des coups comme on reçoit la vie « en pleine gueule » en lui faisant face :
Il vaut mieux être mis KO par ces confrères battus
– Julian Assange, les gars de Charlie Hebdo –
Même en lambeaux ils ne raccrochent pas les gants –
que de ne pas réagir
Ou de crever d’agacement et d’ennui
En lisant des boxeurs tout mignons
Avec des appareils dentaires et les sourcils épilés
Ramiro Oviedo a l’irrévérence de Cravan. A la peau de qui a le poids d’un vécu revenu du vivant pour l’exprimer en uppercuts de poèmes (des « kilomètres d’enfer à pied / Ça n’use personne »). De qui se relève, même après sa mise au tapis. Armé pacifiquement mais fermement de la force des voix qui portent leurs coups au bout de poings plongés dans le ventre du vivant pour en faire surgir la puissance vibratoire, viscérale, pour oser brandir les tripes du réel sur le ring de nos regards à empoigner par une poésie aux mots sales plutôt qu’une « poésie propre », une poésie ouvrant parfois comme une plaie mal refermée nos yeux sciemment ou confortablement laissés fermés (ainsi les vers dénonçant les dictatures, en l’occurrence en Amérique latine pendant les années 1967-1979), une poésie secouant nos esprits scrupuleux et qui passe par « (…) les frissons / Le frémissement des neurones »
Les moments de stupeur
De pleurs et de gorge serrée
Que l’on ressent comme un cross à grande portée
En pleine gueule
En lisant des poids moyens comme Blas de Otero
Des lourds comme Bertolt Brecht ou Günter Grass
Oviedo – le poète qui depuis Les Confins (opus co-écrit avec Christophe Dekerpel, Sébastien Kwiek et Antoine Maine et publié éditions aux éditions La Chouette Imprévue, en 2020, préfacé par Jean-Louis Rambour) lançait : « sortir le pistolet de la langue / pour écrire en légitime défense », en des mots d’insurrection poétique que l’on retrouve dans le distique de Werner Lambersy : « Je nettoyais le poème / Le coup est parti » – Ramiro est ce poète-boxeur qui ne tombe pas, « expert dans le blocage du poing de l’adversaire », qui à gant ouvert rêve et décidément ne tombe pas, celui qui
(…) pense aux poètes-boxeurs de Hora Zero
Aux Nadaïstes colombiens
Aux Infra-réalistes mexicains
Aux Pedrados de Quito
Ces miroirs paraboliques qui ne tombaient jamais
Il fait des feintes au plomb, au chloroforme
Il danse avec les cordes
Mais il ne tombe pas.
Murielle Compère-Demarcy
Ramiro Oviedo est né à Chambo, Equateur, en 1952. Maître de Conférences émérite, professeur de Littérature latino-américaine à l’Université du Littoral, Côte d’Opale. Fondateur-Directeur de la Section d’Etudes hispaniques et hispano-américaines de cette université. A publié une vingtaine de recueils. Prix des Trouvères, 2002 (Le Touquet) et Prix Claude Sernet, 2004 (Rodez). Membre du Collectif Meteor (Amiens).
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