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Le rêve monstrueux d’une Algérie sans jambes, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud le 09.07.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Le rêve monstrueux d’une Algérie sans jambes, par Kamel Daoud

 

Les jambes de l’Algérie. Histoire de nos présents. D’un côté, un recteur d’Alger, devenu ministre de nos talibanisations en marche, soutient son agent de sécurité qui soutient les talibans contre les jupes courtes. La jupe courte est mal vue pour le nouveau ministre. C’est la source des séismes selon les salafistes, du mal selon les oisives, des sécheresses selon les passants et des fins de monde selon les Algériens qui tournent en rond.

De l’autre côté, la France, pays qui a trouvé son séisme sans bouger les fesses : une étudiante est chassée pour cause de jupe longue. Un journal fictif a même proposé d’échanger les deux femmes pour régler les problèmes.

Dans le reste du monde, la campagne d’Algériennes sur « mes jambes ne sont pas un crime », avec photos de jambes d’Algériennes, a fait le tour du monde. On a parlé de l’Algérie à partir des pieds, pas des mains. Au lieu de briller par la lumière, le pays brille par ses fanatismes. Mais la métaphore n’est pas épuisée : on a un Président assis, qui ne se lève pas et dont les jambes ne fonctionnent pas. Cela est arrivé à l’Amérique le siècle passé mais l’Amérique a gagné, pas nous. Jambes mortes, contre jambes nues. Les premières ne dérangent pas le ministre de l’Enseignement supérieur. Les jambes nues, si. Et l’agent de sécurité ?

Le mal est dans les jambes. Celles des femmes. Source tarie, pays en boucle, banc public, jambes immobiles. Croiser les jambes sauve la virginité, mais immobilise l’économie. En gros, la fable est nette : les jambes nues avancent et essayent de faire marcher le pays. Les jambes immobiles le font tourner en rond. En discret ? Misères de l’Algérie de Bouteflika : un ministre Califat, agent de la police des mœurs, jambes sans os. Que dire d’autre ? Au lieu d’être reconnu pour le premier pas algérien sur la Lune, on est identifié comme le pays des jambes tordues. En rond. On ne cire plus les chaussures depuis Ben Bella, on cache les jambes depuis la réconciliation. Le but politique ultime, c’est un pays sans jambes. Coupés au ras des chaises. Rampant sur le ventre, parlant par murmures, désignant le monde par la main qui tremble, épuisé par le verbe. La grande Marche de Mao, remplacée par la Grande Immobilité de la RADP. La Panne Absolue et magnifique. Pays rêvé, peuple enjambé, pays dé-jambé. Femmes-roulante, chaise-nues. Misère : sans les jambes des femmes, on ne fera pas un pas en avant. Mais qui le veut chez nous ? Selon la tradition, il est interdit d’allonger les jambes dans les mosquées. Cela explique les conquêtes des Arabes et leur audace. Aujourd’hui, on peut les allonger. Le pétrole est un don de Dieu, les Chinois un don de l’histoire.

Pays à libérer des mains. Encore et encore. Tombé dans le ridicule et le sinistre. Pays-tronc sur les 100 mètres du monde.

Maudits soient les peuples qui croisent les mains et accusent les jambes des femmes.

 

Kamel Daoud


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A propos du rédacteur

Kamel Daoud

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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.

Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.

En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.

Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.

Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.

Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.

Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.

En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.

Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015