Le Problème à N corps, Catherine Quilliet
Le Problème à N corps, novembre 2015, 232 pages, 14 €
Ecrivain(s): Catherine Quilliet Edition: Paul & Mike
Vincent retrouve un jour, par hasard, dans ses affaires, le journal intime qu’il tenait dix ans auparavant, alors qu’il usait encore ses fonds de culotte sur les bancs de la faculté de mathématiques de Grenoble. Une soixantaine de pages attirent particulièrement son attention, des pages enflammées consacrées à une certaine Marianne, pour laquelle il nourrissait, a priori, un amour dévorant.
A priori. Car Vincent n’a aucun souvenir, ni de la jeune femme ni d’avoir écrit ces lignes qu’il juge d’une beauté époustouflante, à l’image de leur inspiratrice. Comment lui, le matheux, l’homme d’équations et de chiffres, a-t-il pu être à ce point un homme de lettres et l’avoir oublié ? Peut-on oublier que l’on possède un talent pareil ? Peut-on oublier une telle passion de jeunesse et peut-on oublier les traits de celle qui vous avait tant tourné les sens ? D’accord, Vincent est tête en l’air et a certainement une mémoire sélective. Par exemple, il égare toujours le téléphone portable que lui a offert sa compagne Claire, sur lequel elle a renoncé à tenter de le joindre depuis déjà un fameux bail. D’accord. Mais un amour flamboyant qui vous a fait sortir de vous-même des phrases d’une telle intensité, d’une telle force, on s’en souvient toute sa vie, non ?
Vincent répond par l’affirmative à cette question et décide de comprendre ce qui a pu se produire pour expliquer ce trou noir de sa mémoire.
Et c’est toute la force de Catherine Quilliet que de mener cette histoire de cœur comme une enquête policière au suspense implacable. Mais il est impossible d’en dire davantage sans trop gâcher le plaisir des surprises, des trouvailles et des découvertes qui attendent le lecteur.
Disons simplement qu’on se retrouve plongé avec délice dans un whodunit de facture très classique mais dans un univers et un contexte actuels. On pense à Agatha Christie et Hitchcock – il y a pire –, qui auraient mis en scène des personnages à la Klapisch – il y a décidément pire.
Le mélange vaut le détour, assurément, même si lesdits personnages mériteraient de se voir attribuer une psychologie moins binaire. Nous évoluons dans un milieu intellectuel, universitaire, Bobo et Parisien, une sorte de Cluedo chic et trendy, ce qui constituerait déjà presque un roman en soi. Le tout manque donc un peu de chaleur humaine, de nuances, de matière organique – nous sommes dans la minéralité, dans le cérébral pur. Si bien que l’écriture souffre parfois d’une trop grande rigidité, un peu comme les protagonistes. Le meilleur exemple restant Claire, la sublime blonde inaccessible mais désirée par tous, qui pourrait évoquer la Grace Kelly hitchcockienne si on décelait en elle les mêmes fêlures la rendant si humaine et si craquante, là où l’héroïne de Quilliet ne reste qu’agaçante, monolithique et désincarnée, du début à la fin.
Il n’est peut-être pas exclu que cet effet soit voulu par l’auteur, qui lierait là le fond et la forme, auquel cas son but serait magistralement atteint. À moins qu’il ne s’agisse que d’un souci de (trop) bien faire, de (trop) bien écrire ce premier roman.
Cependant, un premier roman de cette qualité, nous en souhaitons à tous les auteurs. Et nous attendons surtout avec impatience les suivants de Catherine Quilliet, qui nous livre ici un thriller amoureux impossible à refermer avant la dernière page.
Laurent Bettoni
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