Le petit mot de Laurent Herrou… Entretien avec Arnaud Genon
Avant la parution aux éditions Jacques Flament, en mai prochain, de son Journal 2017 (après Journal 2015 et Journal 2016, publiés chez le même éditeur), Laurent Herrou nous propose avec Le Petit mot (Eléments de langage, collection O.L.N.I., février 2018) un texte qui transforme l’écriture diaristique en un exercice de style jubilatoire. De 2000 à 2008, Laurent Herrou a travaillé à la Fnac de Nice. Revenant sur ses journaux intimes inédits de l’époque, il a extrait toutes les phrases contenant « Le petit mot », le mot « Fnac » qui occupait alors sa vie et hantait ses pensées, et les a juxtaposées sans aucun artifice. Il en résulte un livre atypique dans lequel le « je » se confronte au « petit mot » et tente dans et par son ressassement-recensement incantatoire, de s’en libérer… Nous avons voulu en savoir un peu plus sur cet Objet Littéraire Non Identifié. Entretien…
Arnaud Genon : « Le petit mot », dont le contenu est extrait de vos journaux intimes tenus entre 2000 et 2008, est un livre en même temps intime et extime. Il parle de vous mais aussi, semble-t-il, du « je » pris dans ce qui pourrait relever d’une forme d’aliénation au travail. Quelle était véritablement votre intention initiale dans ce livre ?
Laurent Herrou : L’obsession du travail. Le texte initial, du moins son projet, s’intitulait Fnac Obsession. C’était comme vous le dites une recension systématique de toutes les phrases contenant le mot « Fnac » dans mon journal couvrant cette période, de la date de mon entrée à la Fnac de Nice à la fin de mon contrat, huit ans plus tard.
AG : Dans sa répétition, « le petit mot » crée finalement une musique, un rythme, une sorte de « mécanique » (bien huilée). J’ai l’impression que ce texte renferme aussi, peut-être malgré lui, une réflexion sur les mots, sur la force poétique de l’ordinaire, sur la langue, sur l’écriture elle-même. Etait-ce une volonté de votre part ou en avez-vous pris conscience pendant votre travail ?
LH : Je crois que c’est venu à force de travail. Le rythme dont vous parlez, et cette musique. J’ai une écriture qui juxtapose beaucoup, les phrases, des morceaux de phrases, des dialogues – c’est présent dans certaines parties de mon journal publié. A l’origine, extraire les phrases contenant le « petit mot » revenait parfois à extraire des paragraphes entiers, à cause de cet emploi de la virgule que j’ai dans le journal. Il m’est apparu rapidement que pour avoir une chance de toucher, je dirais même : de frapper, parce qu’il y a une violence dans cette répétition du mot, il fallait réduire les phrases à leur nécessaire essence, soit : le contexte exact dans lequel le mot « Fnac » était employé. Cela a donné, à terme, le rythme dont vous parlez en rapprochant les occurrences du mot les unes des autres au moyen de phrases courtes.
AG : « Le petit mot » est aussi le lieu d’une tension entre ce travail alimentaire de libraire qui était le vôtre et votre véritable travail qui est celui de l’écriture… Comment avez-vous vécu cette situation particulière qui consistait à vendre les livres des autres (parfois au détriment des vôtres) ?
LH : C’était difficile. Pas au départ, mais une fois l’attente installée. Quand je suis entré à la Fnac, en août 2000, mon premier livre venait de paraître aux éditions Balland. Je vivais en quelque sorte à quelques mètres de sa place dans les rayons. Mais arrivé 2001, 2002, quand mes manuscrits étaient refusés les uns après les autres et que je ne savais pas s’il y aurait un deuxième livre de Laurent Herrou, mettre en place les livres des autres était certains jours un supplice. Restait les coups de cœur, les livres des amis, les livres aimés, et parfois la latitude de pouvoir organiser une rencontre avec un auteur, ou le bonheur de voir un client partir avec un livre que vous lui aviez recommandé, et le voir revenir vous en demander un autre. C’était étrange, d’osciller de manière presque schizophrénique entre le libraire et l’écrivain, et d’aimer et de détester l’un et l’autre à tour de rôle.
AG : Ce texte constitue-t-il une revanche sur vos années Fnac, une manière de transformer vos maux d’alors en matière littéraire ?
LH : Je ne sais pas si c’est une revanche. Parfois, lorsque l’on m’en parle, on me demande si la Fnac va le prendre mal, si la Fnac le prendrait mal si elle s’y intéressait, et dans ces moments-là, je reprends le livre en mains, et le relisant, je me rends compte que ce n’est pas un livre contre la Fnac : c’est un texte qui fait état une fois encore du statut d’écrivain dans une société où être artiste n’est pas considéré (du moins à un certain niveau de reconnaissance), c’est un texte qui une fois encore est plus dur envers moi-même qu’envers l’enseigne que j’y convoque.
AG : Pensez-vous qu’on vous verra en signature, prochainement, dans une Fnac française ou belge ?
LH : J’y travaille – vous apprécierez le verbe…
Arnaud Genon
A lire : Le Petit mot, Eléments de langage, coll. O.L.N.I, février 2018, 10 €
Laurent Herrou écrit et publie depuis 2000. L’autofiction est son domaine signalé. « … son travail interroge tout autant le quotidien que le geste d’écrire lui-même, ses rites, sa nécessité, son impératif». Dernières publications : Le Bunker (2015), Journal 2015 (public. 2016), Autoportrait en Cher (et en mots) (2016), Journal 2016 (public. 2017), Nina Myers (2017) chez Jacques Flament Éditions.
Arnaud Genon, enseignant-chercheur, travaille depuis plusieurs années sur l’œuvre d’Hervé Guibert, et plus généralement sur la littérature de soi. Dernières publications : Tu vivras toujours (Ed. de la Rémanence, coll. Traces, Lyon, 2016), Hervé Guibert, l’écriture photographique ou le miroir de soi, en collaboration avec Jean-Pierre Boulé (PUF de Lyon, 2015).
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