Le périmètre de vie, Alexandre Millon
Le périmètre de vie, éd. Murmure des soirs, mai 2018, 132 pages, 15 €
Ecrivain(s): Alexandre Millon
« Parler de la vie dans le deuil plutôt que le deuil dans la vie » nous dit Alexandre Millon dans ce « périmètre de vie » qui ressemble à une circonférence puisque les angles de vie de la disparue oscillent dans sa mémoire en continu.
Comment renaître à travers le manque ? Si le sujet est universel, les façons de l’aborder sont multiples et je songe à cette belle phrase d’Yves Montand, questionné après la disparition de Simone Signoret : « On ne refait pas sa vie, on la continue ».
Combien de temps Thomas est-il donc resté ce « veuf sous anesthésie » ? Quitter le lieu du manque sera la première étape pour « faire un deuil » que Thomas, écrivain, pense en mots désincarnés, en mots vrais plutôt qu’en formules utilisées à ne rien dire.
On ne « fait pas son deuil » comme on fait ses courses.
Qui aura fait le deuil d’un vrai amour aura tout pour comprendre, respecter et avoir cette empathie qu’Alexandre Millon a pour son personnage car le poète a cette vraie conscience que quand « l’hélice de sa vie » n’est plus là pour actionner son moteur, redémarrer nécessite d’autres et progressives subtilités. En effet, « quand il s’approche de la solitude, d’abord elle commence par lui refuser ses lèvres » : avec cette formulation pour l’absence pure, voici donc le déclic de la réincarnation érotisée de la disparue évoquée à travers des lèvres qui n’existent plus et qui, par la force de quelques mots, semblent s’activer presque mieux que jamais.
Car la solitude guette Thomas. Il lui faut « pallier les désistements répétitifs d’un entourage ».
Le « périmètre de vie » réduit de l’absente devient grandiose à géométrie variable pour la survivance pas à pas dans un univers reconceptualisé non par la nécessité mais par choix d’authenticité, de simplification.
A l’instar de « la ralentie » de Michaux, Thomas va réguler ce périmètre vital, le déclic étant de ne pas changer de vie « s’allégeant une heure en compagnie de sa respiration, comme ça, à soustraire ».
Alexandre, l’ancien revuiste de la Revue Regart (poésie et Art), poète depuis longtemps, va colorer le veuvage de Thomas de banalités quotidiennes jouissives, avec Bruxelles, Bruges sur son chemin, élargissant son périmètre, « le deuil devenant un muscle battant à l’intérieur du corps » car « au mieux le deuil nous aide à apprécier les bons moments encore disponibles ».
En observation de lui-même, Thomas se jouera jusqu’au bout la carte de l’intrigue, l’auteur, lui, précisant la démarche d’écriture via une série d’instantanés à refiger l’instant avec Rachel, l’âme sœur disparue.
La présence progressive d’une jeune orpheline va-t-elle bousculer son destin alors que, très symboliquement, il contribue, pour elle, à la restauration d’une chapelle héritée en Grèce ?
Par le sujet traité, le livre a une sensibilité proche du premier livre écrit par Elysabeth Loos, L’amour est une géographie intérieure, paru récemment aux éditions Le Coudrier.
Patrick Devaux
- Vu : 1972