Le Mystère Fulcanelli, Henri Lœvenbruck
Le Mystère Fulcanelli, octobre 2013, 450 pages, 21 €
Ecrivain(s): Henri Lœvenbruck Edition: FlammarionLivre après livre, le romancier Henri Lœvenbruck sait comment tirer les fils d’une bonne histoire. Immédiatement, ceux qui savent et apprécient les délires d’intrigues du biker le plus cool de la littérature frenchie, pensent Rasoir d’Ockham, Les Cathédrales du vide, L’Apothicaire. Pas du roman de garage tout ça ! Pour les novices, prenez un bol d’Histoire, mettez-y une pincée d’humour, une bonne louche de gros œuvre, adjoignez-y une solide documentation, secouez le tout, saupoudrez d’imagination, décorez d’un zeste de mystère et servez sur tranches bien chaud…
Ce coup-ci, les marrons étaient chauds depuis plus d’un siècle ! Bon, pour les brêles en ésotérisme, Le Mystère Fulcanelli est aussi connu du bon peuple que la somme exacte des bâtonnets dans Rain Man. Ça n’empêche pas de s’intéresser, et même les billes en « fulcanellisme » avancé peuvent apprécier ce livre qu’Henri Lœvenbruck a mis plusieurs années à écrire. Fulcanelli, c’est l’arlésienne. Au 20e siècle, de nombreux chercheurs, des passionnés, des érudits, des exégètes se sont cassé et les dents et le cabochon à vouloir découvrir la véritable identité de ce mystérieux alchimiste du 19e siècle. La faute à un homme : son assistant, son apprenti, son « padawan », l’homme par qui le mystérieux monsieur F. prend corps (et plume) sur le papier : Eugène Canseliet.
Canseliet signera (parfois à trois reprises, une pour chaque édition) les préfaces de deux opus phares de l’alchimie, testaments livresques de son « maître disparu » : Le Mystère des Cathédrales et les deux volumes des Demeures Philosophales. Parus dans l’indifférence, ces livres ont connu un regain d’intérêt dans les années 1960 sans que personne, jamais, ne dévoile l’identité de qui était réellement Fulcanelli. Puis rien, nada, zéro, peau de cochon. De supputations patronymiques en fausses pistes, le public a perdu l’envie de résoudre les énigmes à tiroir. Raconter tout de l’affaire Fulcanelli serait interminable ici premièrement. Deuxièmement, Henri Lœvenbruck le fait d’un fil alerte sur plus de 400 pages, alors à quoi bon ?!
Etonnante histoire, presque à rebours des envies actuelles, qu’a choisi de raconter en se l’appropriant Henri Lœvenbruck. Lœvenbruck se fout des modes. Ça se voit (et ça se lit). On le sent à l’aise dans des univers baroques qui empruntent au réel un décor, une couleur, une intrigue mais qui le dépassent de loin pour emmener son lecteur sur la route d’un bon moment de divertissement intelligent, sans arrière-pensée, sans fausse pudeur. La vérité, ça lui vient bien après. En plus, quelle vérité peut bien nous apprendre un mystère ? L’humilité d’un romancier roule entre les deux. Le roman de Lœvenbruck ouvre (on voit déjà le film) sur la scène d’un homme poignardé dans une église sévillane. Moteur ? Action !
Le Mystère Fulcanelli est aussi la troisième aventure du Némésis de l’écrivain : Ari Mackenzie. Un enquêteur sympa, ce Ari, comme on les aime. Soupe au lait, atrabilaire, désabusé et flegmatique. Pas efféminé pour deux sous. Un gars à l’ancienne, ex de la DCRI, ex détective, ex tout court. Fan de guitares, de cabriolets, de whisky. Dans le jargon, ça s’appelle une épave. Encore dix ans à ce rythme et c’est sûr, on lui donne une pièce pour l’aider à continuer à manger de la vache enragée et tirer le Dictionnaire du diable par la queue ! Dans l’histoire, ancien commandant dans le renseignement intérieur depuis sa retraite il y a quatre ans, Ari vit mal et bien sa séparation d’avec Lola (rencontrée chez un libraire, on la retrouve ici !). Lorsqu’un pote de l’époque où il servait encore sous bannière tricolore, Cédric Radenac, fait irruption dans son rade préféré. Radenac est brigadier-chef dans le 1erarrondissement de Paris. Rapport à une mort suspecte survenue plus tôt, Radenac a besoin des lumières de Mackenzie. Le macchabée, un vieux galeriste du Marais, a trépassé dans son fauteuil. Pas de quoi fouetter un chat à neuf queues. Mais Radenac a du pif, il renifle les entourloupes à trois kilomètres à la ronde, surtout lorsque celles-ci ont de jolies jambes…
Le point fort du livre, ce sont justement tous les livres dont il parle et auquel il se réfère sans cesse pour faire avancer son intrigue. Le twist (on l’avait deviné d’entrée de jeu, mais c’est si bon), c’est un livre qui a disparu de la bibliothèque privée du galeriste. Un carnet, dont même Mackenzie ne voudrait pas si on le lui donnait. Un carnet dit-on, écrit de la propre main de Fulcanelli. A-t-il seulement existé ? On n’en dira pas plus. Le Mystère Fulcanelli reprend les mêmes codes (ésotérisme, mystère centenaire, soif de connaissance, héros marginal) que Le Rasoir d’Ockham et Les Cathédrales du vide, mais les redistribue différemment. L’enjeu est différent, les cartes changent de main. A mesure que son héros vieillit, le style de Lœvenbruck prend de la bouteille. Dans Le Mystère Fulcanelli, Lœvenbruck continue d’abuser de symbolismes médiévaux, de crimes, de travellings contrastants, de manière plus mature que par le passé cependant. L’art d’une bonne histoire est-il en panne en France ? Henri Lœvenbruck répond que non et s’affirme comme l’un de ses plus fiers imagiers.
Des bons points qui font du Mystère Fulcanelli une lecture à consommer sans modération, sur place et à emporter.
Stéphane Chemin, Le Mot et la Chose
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