Le mendiant sans tain, Philippe Leuckx (par Patrick Devaux)
Le mendiant sans tain, éd. Le Coudrier, février 2019, ill. Joëlle Aubevert, préface Jean-Michel Aubevert, 54 pages, 16 €
Ecrivain(s): Philippe Leuckx
« Ma peau n’est qu’un poème déserté Qui m’inflige patience » : c’est effectivement à sa fleur que s’entame cette absence de toucher qui fait si mal à l’indifférence.
Y aurait-il triste mais lumineuse référence à rappeler que « parfois un souvenir étoile un front éteint » et faire ainsi un parallèle indirect à l’individu isolé montré du doigt ?
Avec ce carton littéraire à vouloir protéger cette grandiose image de l’être seul, mais profond, Philippe Leuckx ne rate pas sa cible à vouloir dénoncer ce « nœud de la douleur allongé (A s’allonger) ainsi sans se plaindre ».
Les images sont telles que le poète semble avoir vécu, lui-même, l’expérience de « n’être qu’un reflet De l’autre côté de la vitre Ou de la vie ».
Mais le poète n’est-il pas éponge pour ses semblables ?
Observé depuis le monde indifférent des couleurs et des paillettes chatoyantes, le mendiant serait-il « sans tain » ?
La trouvaille est excellente qui donne de la vivacité à ces morceaux de corps « paquet recroquevillé s’estompant (S’estompe) dès la bouche », révélant indirectement la touche d’incarnat sociale qui colorise l’âme du concerné et fait éclater l’indifférence d’autrui, avec pour seul recours un appel désespéré à la clarté : « comme on mendie l’amour ».
En sus de l’attente de pain, il y a cette triste faim des autres totalement inassouvie et « continuer à vivre comme si ».
Confusions d’émotions à vouloir vivre une vraie vie, « le mendiant que je suis lèche la vitre de la vie Sans nourrir en rien L’épaule d’un frisson » : la sensualité innée du poète transfère l’idée de son propre ressenti au mendiant en sollicitant presque d’être à sa place !
Nulle pitié dans la démarche. Seulement une humanité vraie « entre hasard et secousse Pour un tain qui soit Vrai Un visage empli de soi ».
En psychologie on dirait sans doute qu’il y a « transfert », fût-ce un court moment de l’observateur au sujet de sa préoccupation du moment avec, dans chaque texte, chez Philippe Leuckx, cette idée : comment « briser le tain venu tout recouvrir » ?
Les deux illustrations de Joëlle Aubevert font mouche à laisser paraître cette profonde angoisse lue dans l’œil pourtant lumineux mais éclaté derrière l’indifférence d’une vitre brisée.
Patrick Devaux
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