Le mélange de l’eau, Ariel Spiegler (par Didier Ayres)
Le mélange de l’eau, Ariel Spiegler, éditions de Corlevour, février 2023, 96 pages, 15 €
Attachement/détachement
Après ma lecture d’hier et d’avant-hier du nouveau recueil d’Ariel Spiegler, j’ai trouvé le motif clé de son univers, ou plutôt ce qui vient affleurer çà et là sa prosodie, son style. Tout d’abord en considérant le détachement de chaque vers, au sens primaire, c’est-à-dire non lié au reste du poème dans sa destination globale, dans sa signification, car ces vers fonctionnent de façon autonome dans leur nudité détachée, esthétique, de la saccade, du bout, du fragment, du sème de sens. Mais aussi de l’attachement compris comme fusion des réalités de la langue et de la vie. Fusion de l’univers physique de la poète et correspondance des éléments linguistiques dans le poème lui-même pris jusqu’à son unité la plus petite. Cela fait donc musique, chaque note côtoyant une autre note d’un autre ton, de façon fuguée.
Est-ce que l’on pourrait écrire de ce livre qu’il est le portrait de la poétesse en fragments ? Ainsi, une expression d’unité corpusculaire. De là, on suppose une clarté, une transparence capable de nous fournir un monde intérieur tout en le nourrissant par des thèmes restreints : la mer ou l’océan – la Méditerranée et l’Atlantique –, l’eau – sous diverses formes –, le miroir – et sa capacité spéculaire –, des personnages comme Étienne – dont la réalité semble avérée –, la pendule… L’on s’attache à reconnaître dans ce continuel abandon de la signification au profit de la langue, de petites choses qui paraissent vivantes, mues dans le même temps par une réalité supérieure.
SALLE DE BAINS
Un bain chaud coule après le surf
Les vagues au loin leur vacarme
J’ai vu des méduses violettes
Des lieus jaunes lentement passer au ras du sable
Les vagues vertes ne se cassent pas
Oui, tentons l’expression : une poésie du phénomène.
DE L’EAU
Tu te souviens de ce que ça fait
La sensation du sel et du vent
Tiens bon
L’odeur de l’eau verte
Plate et sombre
Son mouvement tout noir
La promesse d’un orage et la lumière
Pour conclure, je dirai que cette poésie est à mettre généralement au rang du signe, de l’empreinte paradoxale de l’eau – car l’on ne sait pas très justement si l’eau possède une mémoire –, en tout cas d’un microcosme aqueux, de petites vagues se succédant qui font l’océan en disparaissant en tant que vagues. Une plasticité et une fluidité aussi qui forment un tout uni inconcevable, mais qui pourtant restent gravés dans le sol mouillé d’une fraction de la poésie contemporaine.
Didier Ayres
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